Fillon, les heures fatidiques fatidiques
Coulisses. « Une nouvelle campagne commence », a affirmé François Fillon. Mais, pour y parvenir, que de tractations ! Récit de quatre jours de tension maximale.
Acroire finalement que François Fillon ne nous a pas menti le jour où, l’oeil gourmand, il nous a fait cet aveu : « Ce que j’aime dans la politique, c’est la confrontation. » Certes, les révélations du Canard enchaîné n’étaient alors qu’un lointain futur, il venait d’être sacré vainqueur de la primaire et se trouvait en position de favori pour la présidentielle, mais… Lui que ses proches ne cessent de houspiller sur « son menton rentré » avait curieusement redressé la tête. Ça sonnait juste, ça sonnait vrai. Tandis que Nicolas Sarkozy le bagarreur justifiait sa passion pour la politique en philosophant : « La politique, c’est la vie sous une loupe grossissante, la vie en accéléré », François Fillon, décrit en couard, en fuyard, celui que l’ancien président écrasant prenait plaisir à piétiner, le même qui, après l’autoproclamation de Jean-François Copé en 2012, avait finalement renoncé, revendiquait, soudain, un appétit vorace pour l’affrontement.
Fanfaronnade ou sincérité ? Ceux qui l’ont vu, amaigri et pâle, se jeter dans un corps-à-corps viril avec la presse, lundi 6 février, n’ont plus trop de doutes. « Un coup dans l’estomac », et Fillon se redressa. A ses yeux – étincelants d’une « colère froide » –, la violence des attaques portées par « le tribunal médiatique » sur l’emploi de son épouse, de ses enfants nécessitait une riposte physique, un duel. Pour se revigorer, quelques instants avant de se lancer, il avait répété à ses proches : « Je veux affronter la meute. »
Une poignée de minutes plus tard, quand il assène d’un ton ferme : « J’ai été choisi par des millions de
Lundi 6 février, 18 heures. A l’issue de la conférence de presse qu’il a donnée à son QG, à Paris, François Fillon réunit les membres de son comité stratégique. De g. à dr. : Hervé Mariton, Bruno Le Maire, Christian Jacob, François Fillon, Bruno Retailleau, Nathalie Kosciusko-Morizet, Thierry Solère, Jérôme Chartier, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Patrick Stefanini, Gérard Larcher (debout), Luc Chatel et Eric Woerth (cachés), Xavier Bertrand, Jean-François Copé, Gérard Longuet, François Baroin, Laurent Wauquiez, Eric Ciotti (de dos).
Français » , personne ne se doute qu’il a dû batailler avec plusieurs membres de son entourage pour faire cette conférence de presse. Quand il insiste, presque agressif : « Aucune instance n’a la légitimité pour remettre en question le vote de la primaire », personne n’imagine la multitude de scénarios de riposte envisagés. Quand il annonce : « C’est une nouvelle campagne qui commence. C’est donc avec une énergie décuplée et une détermination farouche que j’aborde les prochaines semaines de cette campagne où la France ne joue pas autre chose que son destin » , personne ne soupçonne ce qui s’est joué en coulisse les quatre jours précédents. Les ambitions qu’il a fallu éliminer, les alliances secrètes qu’il a fallu discerner puis dénouer, les moments de doute à surmonter… Fillon a peut-être prouvé qu’il aimait la confrontation, mais la route pour y parvenir a été longue. Récit d’une contre-attaque en trois actes.
Acte I. Jour après jour depuis le début de « l’affaire » , comme disent pudiquement les fillonistes, les fidèles du candidat se réveillent de plus en plus groggy. Le meeting de la Villette du 29 janvier est à peine savouré (les ténors des Républicains ont globalement fait bloc derrière François Fillon et la séquence émotion avec Penelope a été jugée réussie) que surgit, déjà, un nouveau lot de contrariétés. Décidément, Chirac avait parfaitement résumé la situation : non seulement « les emmerdes volent en escadrilles » , mais, en fillonie, il semble bien qu’elles volent en escadrons. Entre les nouvelles informations publiées par Le Canard, mardi 31 janvier en fin de journée, sur la durée de l’emploi de Penelope Fillon et la révision à la hausse des sommes perçues, et l’annonce de la diffusion, jeudi 2 février, d’un numéro d’« Envoyé spécial » « explosif » , au QG du candidat on ne sait plus où donner de la tête. Alors, ceux qui travaillent dans l’ombre ont pris le parti d’en rire. Dans les différents services règne une atmosphère étrange où se mêlent effarement et dérision. Au courrier, on épluche avec curiosité les kilos de lettres et de mails arrivés dès les premiers jours du « Penelopegate ». On s’empresse de communiquer au candidat les messages lui demandant de « tenir bon » et on prend soin de détruire les missives assassines. A deux pas de là, dans un autre bureau, on s’amuse à dénicher la chanson illustrant le mieux la situation du chef. Au lendemain du meeting parisien, on se passe en boucle « Toujours debout », de Renaud. En milieu de semaine, c’est « Parce qu’on vient de loin », de Corneille, qui résonne dans une pièce. On scrute aussi les réseaux sociaux et les détournements de photos postés ici et là. Au lendemain des déclarations de Georges Fenech réclamant le retrait de Fillon, on se gondole en voyant une image faire son apparition sur le Web, montrant Laurent Wauquiez en marionnettiste du député du Rhône. La première partie de la semaine défile ainsi, sans que personne ose parier sur l’issue. Fillon va-t-il tenir ? Mystère.
Lors des réunions stratégiques, ce sont toujours les mêmes qu’on voit pousser la porte vitrée du hall d’entrée. Patrick Stefanini, le directeur de campagne que le scandale a voûté un peu plus, Sébastien Lecornu, son jeune adjoint, Bruno Retailleau, le sénateur et coordinateur de la campagne, le porte-parole Thierry Solère, la communicante Anne Méaux. Parmi eux, plusieurs ne cachent pas leur scepticisme concernant la suite. Quelques-uns ironisent : « Au moins, ça nous aura permis de voir François Fillon. » Le candidat si secret qui, d’ordinaire, se terre à l’abri des regards est contraint de parler aux membres de son équipe, en proie au doute. Il rassure, redit sa détermination.
Acte II. Mais, jeudi matin, quand à son réveil tournent en boucle les propos de son épouse lors d’un entretien avec une journaliste anglaise en 2007, Fillon, que les siens jugeaient si solide au début de la tourmente, commence à chanceler. « La pression sur sa famille, c’est le glaive qui le torture » , glisse alors Retailleau. L’audition de ses enfants, le visage livide de son épouse, la perspective de la diffusion des images de l’interview de cette dernière au Sunday Telegraph, Fillon ne supporte pas. Pour s’apaiser, il cherche des coupables.
« C’est un coup d’Etat institutionnel » , avait-il déjà lancé aux parlementaires la veille. « On veut me casser parce que je dérange » , souffle-t-il en petit comité. Coup de com ou conviction ?
Rue Firmin-Gillot, le grand bâtiment, ses open spaces et ses larges fenêtres donnant vers l’extérieur se transforment en citadelle imprenable. On craint d’être espionné, écouté, observé. Quand François Fillon reçoit le fidèle patron des sénateurs, Bruno Retailleau, jeudi 2 février au matin, dans son bureau du 5e étage, il paraît marqué, « très soucieux » , de l’avis de son visiteur. « Fermez les volets » , intime-t-il à ses collaborateurs. Le candidat chamboulé a peur d’un cliché dérobé. Il se croit victime d’une traque dont les seules limites seront celles qu’il imposera, lui. Le téléphone fixe aussi est suspect. Quand un tête-à-tête ou une réunion commence dans son bureau, il se précipite pour le débrancher. La veille au soir, une réunion de crise à laquelle il n’a pas assisté a fuité dans la presse. Il faut prendre plus de précautions. Contre les médias et contre le pouvoir en place. Dorénavant, ses lieutenants seront priés de laisser leurs téléphones portables dans un carton disposé dans le bureau attenant, sous l’oeil vigilant de sa secrétaire particulière, Sylvie Fourmont. Preuve que ses angoisses sont contagieuses, certains fillonistes ne veulent plus communiquer que via Telegram, un service de messagerie cryptée. Une question un peu embarrassante posée par téléphone ? « Parlons-en de visu » , vous rétorquent les plus anxieux. Que craignent-ils ?
Tandis que le candidat ferme portes et fenêtres, les ambitieux s’activent. Depuis plusieurs jours déjà, Laurent Wauquiez et François Baroin se plaisent à rêver de candidats de remplacement. Eux, évidemment. Leurs détracteurs imaginent le retour
« Fermez les volets », intime François Fillon à ses collaborateurs. Le candidat chamboulé a peur d’un cliché dérobé.
d’Alain Juppé (voir encadré ci-contre) et tout ce petit monde complote pour dégoter le plan B idéal. Le jeudi 2 février toujours, alors que le candidat quitte Paris pour un déplacement dans les Ardennes, Bruno Retailleau tente de mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm. Son téléphone ne cesse de sonner, on l’interroge sur la vivacité du malade. Est-il combatif, anéanti, pour combien de temps ? Avec son air de diplomate et son phrasé si policé, « Bruno a fait comprendre à Baroin que, s’il levait la tête, les autres le tueraient, y compris certains sarkozystes, relate un lieutenant filloniste. Il a également fait comprendre à Wauquiez que ce n’était pas la peine d’y penser, car sinon les centristes nous quittaient aussitôt. » De son côté, le président du Sénat et ami de Fillon, Gérard Larcher, reçoit. Dans son bureau défilent toutes les espèces de Républicains – fillonistes, sarkozystes, juppéistes. A ses visiteurs il donne le sentiment d’être prêt à intervenir. Comprendre : raisonner François Fillon et le convaincre d’abandonner. Mais il n’en fait rien. « C’était la journée des dupes » , rit Retailleau le lendemain. Ce que cette journée a mis en lumière, au-delà des divisions, des trahisons, c’est précisément l’absence d’alternative faisant consensus. « On a bien vu qu’ils s’entre-dévoraient et que donc il n’y aurait pas de plan B » , relate a posteriori un élu de la garde rapprochée. Acte III. La dernière séquence, celle de la repartie sonnante et trébuchante, peut commencer. Vendredi 3 février, François Fillon se plie à une séance photo pour son affiche de campagne. Il discute zoom et appareil photo avec le photographe, se paie même le luxe du sarcasme quand ce dernier lui demande comment il va. « Je nage en plein bonheur » , rétorque-t-il dans un rictus. Il suffit de contempler ses traits tirés, de voir la maquilleuse empiler les couches de fond de teint pour comprendre que Fillon arrive au bout de l’exercice. Le candidat ne mange quasiment plus, il carbure au café. Quand une alerte tombe sur les portables, il demande, ironique : « Qu’est-ce que j’ai encore fait ? » Les « attaques » , comme il dit, sans rendre les coups, le Sarthois n’en peut plus. Certes, l’homme de l’Ouest est taiseux, discret, mais maintenant il bout. Il veut en découdre. Depuis le début de la semaine, une étonnante variété de scénarios a été envisagée. Une émission longue durée, un nouveau journal télévisé, et même un entretien de Penelope avec Karine Le Marchand dans un format spécialement conçu pour l’occasion. « Je dois m’exprimer en premier. Ensuite, ce sera à Penelope de décider », avait-il évacué. Fillon hésitait, à présent il se sent prêt. Lui qui a été élu sans que personne s’y attende n’a pas fini de déguster, et pas question qu’on lui retire le pain de la bouche à peine entamé ! Si devant nous, début janvier, il refusait l’idée de revanche, il admettait aussi : « J’éprouve un vrai plaisir à enfin pouvoir mettre en oeuvre les idées qui sont les miennes et dont on m’a expliqué pendant des mois qu’elles ne seraient pas possibles » . Pas revanchard, Fillon, mais fier. Et bien décidé à se battre pour profiter encore de ce triomphe durement acquis.
« Je nage en plein bonheur », rétorque François Fillon, dans un rictus, à un photographe.
Dans son entourage aussi, on retrouve espoir. L’absence de candidat de secours sérieux combinée aux retours du terrain donnent à tout ce petit monde une idée. Si l’écoeurement est parfois, ou souvent, perceptible chez les électeurs, revient sans cesse l’idée que la ligne politique prônée par Fillon n’est incarnée par personne d’autre. Il faut tout mettre à plat pour relancer sa campagne, une campagne plus rythmée et fondée un peu plus sur le programme et un peu moins sur la personne de François Fillon. De toute façon, quel autre choix ? Le candidat exemplaire est décrédibilisé. Une « opération transparence » , publication de patrimoine et compagnie, dissipera les soupçons, commencent à espérer ses fidèles, et lui permettra de braquer ensuite les projecteurs sur son projet. Un projet adouci, plus tourné vers le social, comme le candidat le promet le jour même à Xavier Bertrand.
Le vendredi soir, la stratégie se dessine. François Fillon appelle ses proches et leur annonce : « Je vais faire Bourdin lundi matin et adresser une lettre aux Français. » Auparavant, il a discuté avec Nicolas Sarkozy. L’ancien président lui a déconseillé le format conférence de presse sur lequel Fillon hésitait, mais lui a suggéré cette missive aux électeurs. Le schéma ne tarde pas à être bousculé par le « besoin physique » éprouvé par Fillon d’ « affronter la meute » . La meute médiatique, celle qui l’a, selon lui, cloué au pilori sans preuve. Voilà l’ancien Premier ministre persuadé d’être victime de la presse, comme Sarkozy en son temps. Il s’est senti, selon son expression, « lynché » . Lorsqu’il retrouve son équipe, dimanche à 16 heures, à son QG, il n’a plus qu’une idée en tête : préparer sa conférence de presse comme on prépare un combat de boxe. Pendant quatre heures, Stefanini, Lecornu, Retailleau, Méaux, Solère se glissent dans la peau des journalistes et lui posent une ribambelle de questions. « Si un journaliste de Mediapart t’interroge, rappelle le redressement fiscal dont le site a fait l’objet ! » lui lance l’un des participants. Leçon retenue. Le lendemain, Fillon, menaçant, présente « ses excuses aux Français » et martèle : « Je suis le seul candidat qui permette de mettre en oeuvre le redressement national. » La rédemption par le projet politique. Pari habile. Mais peut-on effacer une telle affaire en décrétant simplement le début d’une nouvelle campagne ?
Ce pari-là, au moins, semble réussi auprès de ses troupes. Au soir de sa conférence de presse, plus une tête ne dépasse. Tous derrière et lui devant. Reste le mystère de l’électorat, cette opinion versatile en diable et encore marquée, mercredi, par les dernières révélations du Canard enchaîné sur les indemnités de licenciement (45 000 euros) qu’aurait touchées Penelope Fillon