Sollers en orbite
Une femme, la Grèce, la musique… l’écrivain survole en poésie la planète littérature.
Il serait absurde, et parfaitement déplacé, de demander aux (récents) romans de Philippe Sollers d’être des romans comme les autres. Avec lui, ça invente, ça digresse, ça rêve, ça cite, ça récite – sans plus. On s’ennuie ? Il suffira de passer son chemin. On se divertit ? Tant mieux, car l’écrivain-scripteur de ce genre d’opus s’est installé, l’âge venu, sur une orbite particulièrement singulière. C’est un satellite qui expédie aux mortels demeurés sur Terre des bip-bip lettrés, stimulants ou abscons. Son dernier message codé s’intitule « Beauté ». Les précédents étaient étiquetés « Mouvement » ou « L’école du mystère » – mais ces titres sont interchangeables. De toute façon, Sollers ( « comme Proust ou Saint-Simon » , dirait-il…) écrit désormais, et toujours, le même livre. C’est même son côté Jean d’Ormesson. Qui, d’ailleurs, et après ses longs états de service en faveur de la littérature, oserait lui contester ce privilège ? Donc, « Beauté »…
Nuées. Composition chimique de l’opus : un « je » (souple, sympa, sollersien) ; une femme (ici, une « Lisa », grecque et pianiste) ; un décor de référence (Egine, Bordeaux, l’espace-temps) ; une bibliothèque (Hölderlin, Pindare, Bataille, Genet, Homère, la Bible). A partir de là, les variations s’enchaînent en brefs chapitres énigmatiques. Ecriture poétique et kilométrique. Dansante. Mercurienne. Avec trouées de lumière et massifs glossolaliques. L’ensemble, très musical, berce ou lasse. A titre personnel, j’avoue que je me sens plutôt à l’aise parmi ces nuées de mots, ces essaims de métaphores, ces galaxies d’ellipses et de trous noirs. Après avoir fait ses gammes dans l’expérimentation (« H », « Paradis », « Nombres », etc.), puis dans la narration vendeuse (période ouverte par « Femmes » et « Portrait du joueur »), Sollers semble s’installer entre le haïku romanesque et le bla-bla ultracrypté. On aime, on s’indigne… Avouerai-je que je ne déteste pas ?
Plus sérieusement : on revient toujours d’un voyage sollersien avec des phrases mémorables. Voici, en la circonstance, quelques spécimens retrouvés dans mes filets après l’exploration visuelle et sonore de cette « Beauté » : « Regarder toujours le présent, quel qu’il soit » (p. 46) ; « Le futur brille et nous parle » (p. 57) ; « On n’échappe pas à ce qui ne sombre jamais » (p. 123) ; « La mort est minable » (p. 154) ; « Une femme qui envisage de mourir avant vous, alors qu’elle est nettement plus jeune, vous aime. Aucun doute… » (p. 171). Bonne pêche, non ? « Beauté », de Philippe Sollers (Gallimard, 224 p., 16 €).
Respiration. Philippe Sollers en 2011. Avec « Beauté », son 27e roman, il offre une variation musicale où les trous noirs tutoient les trouées de lumière.