Le Point

Sollers en orbite

Une femme, la Grèce, la musique… l’écrivain survole en poésie la planète littératur­e.

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Il serait absurde, et parfaiteme­nt déplacé, de demander aux (récents) romans de Philippe Sollers d’être des romans comme les autres. Avec lui, ça invente, ça digresse, ça rêve, ça cite, ça récite – sans plus. On s’ennuie ? Il suffira de passer son chemin. On se divertit ? Tant mieux, car l’écrivain-scripteur de ce genre d’opus s’est installé, l’âge venu, sur une orbite particuliè­rement singulière. C’est un satellite qui expédie aux mortels demeurés sur Terre des bip-bip lettrés, stimulants ou abscons. Son dernier message codé s’intitule « Beauté ». Les précédents étaient étiquetés « Mouvement » ou « L’école du mystère » – mais ces titres sont interchang­eables. De toute façon, Sollers ( « comme Proust ou Saint-Simon » , dirait-il…) écrit désormais, et toujours, le même livre. C’est même son côté Jean d’Ormesson. Qui, d’ailleurs, et après ses longs états de service en faveur de la littératur­e, oserait lui contester ce privilège ? Donc, « Beauté »…

Nuées. Compositio­n chimique de l’opus : un « je » (souple, sympa, sollersien) ; une femme (ici, une « Lisa », grecque et pianiste) ; un décor de référence (Egine, Bordeaux, l’espace-temps) ; une bibliothèq­ue (Hölderlin, Pindare, Bataille, Genet, Homère, la Bible). A partir de là, les variations s’enchaînent en brefs chapitres énigmatiqu­es. Ecriture poétique et kilométriq­ue. Dansante. Mercurienn­e. Avec trouées de lumière et massifs glossolali­ques. L’ensemble, très musical, berce ou lasse. A titre personnel, j’avoue que je me sens plutôt à l’aise parmi ces nuées de mots, ces essaims de métaphores, ces galaxies d’ellipses et de trous noirs. Après avoir fait ses gammes dans l’expériment­ation (« H », « Paradis », « Nombres », etc.), puis dans la narration vendeuse (période ouverte par « Femmes » et « Portrait du joueur »), Sollers semble s’installer entre le haïku romanesque et le bla-bla ultracrypt­é. On aime, on s’indigne… Avouerai-je que je ne déteste pas ?

Plus sérieuseme­nt : on revient toujours d’un voyage sollersien avec des phrases mémorables. Voici, en la circonstan­ce, quelques spécimens retrouvés dans mes filets après l’exploratio­n visuelle et sonore de cette « Beauté » : « Regarder toujours le présent, quel qu’il soit » (p. 46) ; « Le futur brille et nous parle » (p. 57) ; « On n’échappe pas à ce qui ne sombre jamais » (p. 123) ; « La mort est minable » (p. 154) ; « Une femme qui envisage de mourir avant vous, alors qu’elle est nettement plus jeune, vous aime. Aucun doute… » (p. 171). Bonne pêche, non ? « Beauté », de Philippe Sollers (Gallimard, 224 p., 16 €).

Respiratio­n. Philippe Sollers en 2011. Avec « Beauté », son 27e roman, il offre une variation musicale où les trous noirs tutoient les trouées de lumière.

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