Les routes perdues du Sud marocain
Unique. Entre falaises et palmeraies, trois haltes magiques sur la piste des caravanes.
Ici, une immense palmeraie, qui s’étire parmi dattiers, grenadiers et bougainvillées. Là, des massifs spectaculaires, tour à tour tabulaires, hérissés et striés. Plus loin, de longues plages bordées par des falaises de basalte rouge. Tandis que nous sillonnons le Sud marocain entre Agadir, Guelmim et Tata, on imagine aisément la stupéfaction qui s’est emparée de Thierry Teyssier face à ces paysages somptueux et méconnus. L’homme n’était pourtant pas novice. Il y a quinze ans, alors que la plupart misent sur Marrakech, lui préfère la luxuriance et les terres agricoles de la plaine de Skoura, au sud de Ouarzazate. Il y restaure une superbe casbah de 14 chambres seulement. Avec l’ambition d’en faire une maison où le raffinement n’aurait d’égal que l’authenticité, où les contraintes d’espace et de temps disparaîtraient et où les expériences échapperaient à toute routine. « C’est de mon insatisfaction à trouver le cadre propice aux aventures que j’aimais faire vivre avec mon agence d’événements qu’est né ce pari de créer un, puis plusieurs lieux qui vivraient au rythme des envies de mes hôtes, et non l’inverse » , confie-t-il.
Ainsi fut créé Dar Ahlam – « la maison des rêves » – et le désir d’en étendre un jour le terrain de jeu. L’occasion finit par se présenter une décennie plus tard. Sous l’impulsion de son amie Yasmina Filali, présidente de la Fondation Orient-Occident à Rabat, Thierry se retrouve donc sur la route. C’est la révélation. Et le point de départ d’un itinéraire exclusif (six personnes maximum) découpé en plusieurs étapes et autant d’hébergements installés dans des sites reculés et préservés, choisis après de longs mois d’investigation. Car, avec lui, tout relève de l’émotion et du coup de coeur. Rien d’étonnant donc qu’il ait confié au Studio KO (futur musée Yves Saint Laurent à Marrakech, hôtel Chiltern Firehouse à Londres) l’architecture des maisons ; à Thierry Alix, les recettes, qui font la part belle aux produits locaux ; à Pierre Hermé, les desserts ; et à Bertozzi, l’art de la table. Rien d’étonnant non plus qu’il ait pris en main la décoration, scénarisée dans les moindres détails, des identités graphiques jusqu’aux matières et associations de couleurs, en passant par les meubles et objets chinés. « Cette porte bleue en bois, dénichée à Marrakech, se trouve désormais dans La Maison des arganiers. » Justement, le 4 x 4 vient de nous y déposer. Tout en hauteur et pierres blanches, l’habitation s’élève au coeur d’Azrarag, un hameau surplombant une vallée d’arganiers, dans l’arrière-pays d’Agadir. « De l’ancien bâtiment, en ruine, nous avons retrouvé les contours et les différences de niveaux
en créant un toit-terrasse et un chemin de ronde. Tout cela, explique Thierry Teyssier, dans le respect des techniques traditionnelles afin que la maison se fonde dans son environnement. » Passé l’entrée, l’intérieur, ultracosy, dévoile auvents en rondins, plafonds en tatoui, rideaux en laine bouillie, lampes en papier et raphia, tadelakt, zelliges vernissés bleu et gris, malles de voyage dans lesquelles sont déposées les valises. « A force de déplacements, nous avons perdu la fraîcheur, l’excitation du départ, regrette-t-il. L’idée de la malle, comme le concept de cette route, est de sortir du cadre, de créer une rupture avec les habitudes du voyage. »
Un verre de lait d’amande, quelques merveilles, et nous mettons le cap sur la palmeraie de Tighmert, près de Guelmim. Parmi jardins, dattiers, seguias, chemins de terre et champs de luzerne se cache La Maison de l’oasis, deuxième étape du circuit. Murs en pisé, terre cuite, toiles en poil de chameau dressées comme des tentes berbères, motifs ethniques, nattes au sol, vanneries, tonalités beige, crème et chocolat… Ici tout rappelle l’Afrique, et plus encore la Mauritanie. « La palmeraie est située sur l’ancienne route des caravanes, atteste Bouchra, responsable de la maison. Une partie de ses habitants descend donc des peuples nomades. »
Exception. Autre lieu, autre décor. Cette fois-ci au coeur des montagnes ocre de la province de Tata. Bienvenue à La Maison rouge, enclave de pierres sèches située au coeur du village d’Aoujou. « L’histoire du lieu m’a plu tout de suite. Les hommes travaillant à la ville – ils ne rentrent que pour le ramadan et les grandes fêtes –, les femmes assurent l’intendance. » Ultime étape avant de s’aventurer dans le désert, la maison soigne son confort. Fauteuils club, gramophone, voilages blancs, nattes aux murs, parquet, lampes en fer ajourées, cheminée en béton ciré, rouge carmin, tataoui et pièces chinées… sont autant de références à la Croisière noire et aux grands explorateurs.
Entre chaque escale, la route aura réservé des surprises. A commencer par ce pique-nique dans un grenier-forteresse du XIIe siècle perché sur un éperon rocheux, d’où on embrasse un panorama grandiose. Ou ce déjeuner proposé sur la plage de Legzira, ponctuée d’arches de basalte monumentales. Là réside toute l’exception de cette route, qui déploie élégance et raffinement dans des lieux inattendus. Et nous conduit vers des territoires dont on ne soupçonnait ni l’existence ni la beauté