Comment savoir si vous êtes déconnectés de la réalité
Le penseur conservateur et libertarien Charles Murray a mis en ligne un test permettant de mesurer son degré d’appartenance à la « superclasse ». Un quiz plein de surprises qui est aussi une leçon pour nos élites.
Comment comprendre les victoires de Donald Trump et du Brexit ? Comment prévoir les prochaines surprises, bonnes ou mauvaises, populistes ? Si tout a été décortiqué et décrypté par l’ensemble des populistologues sur tous les plateaux de télévision, une voie originale consiste à passer par un jeu : le quiz. Il ne s’agit pas tant de savoir pour qui l’on compte voter, ou quel camp l’on imagine voir gagner, que, pour l’élite, de mesurer la distance qui la sépare du reste de la population. Le penseur conservateur et libertarien américain Charles Murray a eu l’idée d’un questionnaire permettant de savoir à quel point les répondants se distinguent ou se rapprochent de l’Américain moyen. Une première version de son test avait été élaborée dans son ouvrage remarqué, à gauche comme à droite, « Coming Apart. The State of White America, 19602010 ». Publié en 2012, ce brûlot antiégalitaire décrivait l’avènement d’une « superclasse » (de quelques dizaines de milliers d’individus à 5 % de la population) vivant de plus en plus comme une véritable catégorie sociale séparée du reste de la société. Plus riches et moins gros, plus diplômés et au QI plus élevé, ces individus connaissent une homogamie renforcée et une concentration géographique accrue (dans des quartiers à « supercode postal » ). Qui appartient à cette catégorie ? Et, surtout, est-ce que j’appartiens à cette catégorie ? Murray propose un moyen simple de l’apprendre. Son quiz en ligne, depuis début 2016, permet de savoir si l’on vit dans une bulle déconnectée du reste des tendances générales qui affectent la société.
Les expressions « vivre dans sa bulle » et « vivre dans une bulle » prennent ainsi une consistance et une résonance singulières. Elles ne signifient plus seulement rêvasser ou être coupé des autres ; notre « bulle » délimite vraiment notre environnement culturel. Et des enquêtes permettent de déterminer les caractères plus ou moins limités ou plus ou moins étendus de nos amitiés, relations et contacts.
Le quiz de Murray, assorti de questions mises à jour et de réponses détaillées, a rencontré le succès : 1 million de personnes l’auraient lu, 100 000 l’auraient fait dans son intégralité. Les résultats montrent une ségrégation croissante par le haut. De moins en moins de membres de l’élite fréquentent des gens non diplômés. De même, de moins en moins d’entre eux ont mis un jour les pieds dans une usine ou exercé un métier éreintant physiquement. Un choix de films et de séries permet aussi de mesurer la distinction. Celle-ci passe, encore, par le fait d’avoir ou non vécu dans une ville de moins de 50 000 habitants ou d’être allé au restaurant au moins une fois dans les deux précédentes semaines.
Voilà donc un test très utile pour évaluer la distance grandissante entre des classes moyennes qui s’effritent et des classes très favorisées qui s’affirment. On attend le même test pour la France, où le parisianisme réserverait certainement quelques surprises. Une partie de l’élite, notamment celle du royaume de Boboland, tout en déplorant régulièrement la faible scientificité du terme bobo, cesserait de pleurnicher sur le thème « dans quel monde on vit ! ». Elle prendrait acte et conscience de quelque chose de plus simple et de plus préoccupant peut-être : dans quelle bulle vit-elle ! La méthode du quiz autorise une révision des réalités contemporaines et quelques leçons sur une élite qui, valorisant pour tous des modes de vie progressistes et ouverts, se comporte, pour elle, de manière conservatrice et fermée
Un test très utile pour évaluer la distance grandissante entre les classes moyennes et les classes très favorisées.