Kamel Daoud, l’intell ectuel qui dérange
Les prises de position de l’écrivain algérien sur l’islamisme et les dictatures arabes ont un retentissement mondial. Interview et extraits de son nouveau livre, « Mes indépendances » (Actes Sud).
«Jesuis l’espace de beaucoup de projections, de contradictions, de passions, en Algérie, en France et ailleurs. » L’homme qui s’exprime ainsi dresse ce constat sans lyrisme ni complaisance. Et dans ce style si particulier, déroutant parfois, à nul autre pareil. Cet homme se nomme Kamel Daoud, il est né en 1970 à Mostaganem, en Algérie, et vit aujourd’hui à Oran. Son premier roman, « Meursault, contre-enquête » (Barzakh et Actes Sud), lui a valu une reconnaissance littéraire internationale. Durant vingt ans, ses chroniques du Quotidien d’Oran ont été les plus lues d’Algérie. Elles sont en partie réunies aujourd’hui dans un ouvrage, « Mes indépendances » (Actes Sud). On y trouvera également quelques-uns de ses textes retentissants parus dans le New York Times et Le Point, dont il est le chroniqueur depuis deux ans et demi (lire p. 114). Ses prises de position sur les printemps arabes, l’Arabie saoudite, l’islam, les viols de Cologne, la burqa ou Bachar el-Assad l’ont imposé comme la figure centrale du paysage intellectuel.
Pourquoi Daoud dérange-t-il ? Car « il refuse d’être otage de l’histoire coloniale quand tout le récit national algérien est tissé autour de cette notion » , écrit dans sa préface le grand journaliste Sid Ahmed Semiane, qui prépare un film sur l’écrivain. Daoud s’exprime en Algérien qui, adolescent, a vécu « un attrait mystique » pour la religion musulmane. Puis a connu durant les années 1990 l’horreur de l’islamisme. Pour lui, « ce qui se passe aujourd’hui avec Daech a un air de déjà-vu. C’est un remake » de ce que les Algériens ont subi. Ce qui rend son témoignage d’autant plus intéressant.
Ni tiers-mondiste ni tiers-mondain, Kamel Daoud est un défi à tous les conforts intellectuels, de gauche comme de droite, occidentaux comme orientaux. Daoud pense en homme libre. S’il suscite autant de passion, c’est qu’il démasque toutes les stratégies de déni, pourfendant les idéologies en place.
Evoluant sans cesse sur une ligne de crête, objet d’une fatwa lancée contre lui en 2015, l’écrivain se sent-il seul ? « Comme Robinson Crusoé, je me sens peuplé de tout un univers. »