Gers, l’empire du bio
Conversion. Ce département est le champion de France de l’agriculture biologique. Enquête sur un phénomène.
En ce doux petit matin d’automne, la cour de sa ferme fleure bon le comice agricole. En octobre, les officiels et les médias locaux s’y sont donné rendezvous pour célébrer la millième fe r me bi o d u Ge r s . Jé r ô me Fourcade, quatrième génération d’agriculteurs du village de Polastron (150 habitants), pose en héros du jour devant son troupeau d’une cinquantaine de vaches. L’éleveur de 44 ans s’est décidé, en mai 2016, à franchir le pas, constatant que certains de ses amis vivaient bien, voire très bien, du bio. Et puis « le bio, c’est un autre état d’esprit, on partage davantage » . Il s’est donc lancé dans l’élevage de vaches de race à viande : gasconnes, mirandaises et limousines. Des bêtes rustiques, qui vivent le plus souvent à l’air libre et sont nourries grâce à ses 150 hectares plan- tés en herbe et en céréales. Jérôme Fourcade n’a pas reculé devant la charge accrue de travail qui l’attend. Car la pratique du bio est infiniment plus contraignante que l’agriculture conventionnelle. A défaut d’utiliser des pesticides ou des fongicides pour éliminer les mauvaises herbe, l’agriculteur doit, par exemple, passer et repasser la herse étrille… Son élevage ne sera pas certifié bio avant 2018. Ce n’est qu’à cette date qu’il tirera un meilleur prix de la viande qu’il écoule tous les jeudis à Auch et les samedis à Cugnaux, dans la banlieue de Toulouse. L’an dernier, une centaine de fermes se sont converties au bio dans le Gers.
« Chez nous, le bio, c’est une affaire de pros. On n’est pas à Woodstock », assure Philippe Martin, président socialiste du conseil départemental du Gers. Ce natif de La GarenneColombes a découvert l’agriculture quand, préfet à Auch, il a vu des paysans excédés déverser des tombereaux de fumier devant sa grille. Devenu, en 1998, président du département – avant d’être député puis éphémère ministre de l’Ecologie –, il a oeuvré pour la filière bio en instaurant une aide départementale à la conversion et en encourageant les collèges à composer des menus bio. Le Gers, pays réputé pour son foie gras et son armagnac, est devenu le département cham- pion de France du bio. En cinq ans, les surfaces bio ou en conversion ont été multipliées par cinq, occupant maintenant 14 % des terres cultivables. Ce mouvement touche, dans des proportions diverses, toute la France, même si, avec ses modestes 5 % de culture bio, l’Hexagone fait pâle figure face aux champions que sont l’Autriche (21 %), la Suède (17 %), l’Estonie (17 %) ou la République tchèque (12 %)… Chaque année, pourtant, le bio grignote des hectares en France, avec une croissance de 20 % en 2015. Tous les grands pays européens consacrent bien plus de terres au bio que les Etats-Unis (0,6 % des surfaces seulement !).