Le Point

Michel Audiard, mon grand-père

A 47 ans, il publie son premier roman, un polar gouailleur. Nous avons retrouvé Marcel, le petit-fils du réalisateu­r.

- PAR JULIE MALAURE

«A udiard, de la famille Audiard ? » On l’interpelle au coin de la rue, partout, tout le temps. Son patronyme lui colle à la peau aussi sûrement que la plaque à l’entrée de son cabinet de consultati­on parisien. C’est là que le Dr Marcel Audiard accepte de nous rencontrer, une première fois, avant de nous ouvrir les portes de sa maison et de nous montrer son album photos, pour nous raconter cette famille, si banale pour lui, si fascinante pour nous.

Les Audiard, c’est d’abord Michel, son vénérable grand-père, disparu il y a trente-deux ans, scénariste,

dialoguist­e culte des « Tontons flingueurs », des « Barbouzes », du « Guignolo », pour les copains Lautner, de Broca, Verneuil, Zidi. Puis c’est Jacques, bien vivant, son oncle, Palme d’or à Cannes 2015 avec « Dheepan », après « De rouille et d’os » ou « De battre mon coeur s’est arrêté ». Au pied de cet arbre généalogiq­ue il y a lui, Marcel, le même sourire. 47 ans, mariage heureux, trois enfants – « qui vont très bien, c’est la moindre des choses quand on est pédopsychi­atre » , se marre-t-il –, qui a presque l’air de faire son coming out audiardien puisqu’il vient de signer sous son vrai nom mais deuxième prénom un roman, son premier. Un polar, façon « Club des cinq » contempora­in (avec un héros formidable, Raoul, tiens !), qu’on lirait rien que pour le plaisir des mots, pétri d’une gouaille argotique à l’ancienne, d’expression­s à coucher dehors et d’images jubilatoir­es, comme son illustre aïeul.

Mais voilà, si l’on découvre seulement maintenant cet Audiard-là, c’est que Marcel avait fait voeu de passer « sous les radars du cinéma, du showbiz » – comme il dit. Il évoque une enfance heureuse, « je n’ai manqué de rien » –, mais en demi-teinte. « C’était un milieu de saltimbanq­ues méchants, tueurs ! » Son père, François, le fils aîné de Michel Audiard, est mort en 1975, à l’âge de 25 ans, dans un accident de voiture. « Consumé à une vitesse folle par une facilité à vivre la nuit » , raconte l’orphelin, à qui on a conté les frasques de son père à peine adulte, les fugues, les alcools forts et les nuits chez Castel, dans le sillage des extravagan­ces de Michel pendant sa gloire des années 1960.

« Il est mort en janvier, je suis d’octobre (Marcel avait 4 ans). Mais je ne me plains pas de ne pas avoir eu de père » , poursuit-il, sans rigueur ni souvenir, hormis celui des photos, comme celle qu’il nous tend, en noir et blanc. Le petit Marcel trône, un flingue à la main, sur les genoux de son grand-père la clope au bec, « et le Mesrine derrière, c’est mon père ! » A sa disparitio­n, la mère se retrouve seule. Monteuse, elle travaille énormément. Alors Michel va prendre le relais. « J’étais son seul petit-fils, il s’est beaucoup occupé de moi, il m’a surinvesti à la mort de mon père. » Ce « très bon grand-père » le trimballe, le choie, « il venait me chercher à la sortie de l’école, soit on allait directemen­t à Dourdan, soit on allait à La Trémoille [un hôtel 5 étoiles à Paris, NDLR], où il avait ses entrées, et où on dormait avant de partir le lendemain matin retrouver les autres. » C’est là, à Dourdan, 1 hectare et trois maisons à 52 kilomètres de Paris, « la capitale de [sa] femme » , comme disait Michel, que le petit-fils retrouve « Cri-Cri », Marie-Christine Guibert, sa grand-mère. « C’était un couple étonnant, se souvient-il. Ils divorcent début 1970 et ils se remettent ensemble à la mort de leur fils, mon père. Pas dans le même lit, mais séparés par un long couloir de 25 mètres. Pourtant, je n’ai jamais eu la sensation que mes grands-parents étaient séparés. Ils vivaient séparés ensemble. Probableme­nt autour de moi. J’ai dû être le ciment de leur apaisement. » Cri-Cri, Marcel la décrit comme une « bourgeoise fin de race » . C’est elle,

« C’était un milieu de saltimbanq­ues méchants, tueurs ! » Marcel Audiard

autant que la fréquentat­ion des bistrots, qui inspire Michel : « Elle avait un Paris canaille dans sa bouche incroyable ! Elle utilisait des expression­s à l’emporte-pièce à tour de bras. » Un talent dont Marcel a hérité : « Je parle comme ça, je n’ai pas eu beaucoup à me forcer pour écrire » , comme il s’en explique lorsque l’on parle de son roman « Le cri du corps mourant ».

Et puis revient la question du grisbi. On se souvient de Michel Audiard qui, interviewé pour la blague par Bertrand Blier, répondait : « J’aime pas le cinéma mais j’aime bien les sous. » Marcel confirme : « Il y a souvent beaucoup de thunes et souvent plus du tout de thunes. Il y avait tout le temps des huissiers chez mes grands-parents dans les années 1970. Ils venaient saisir les meubles parce qu’ils ne payaient pas leurs impôts. » Marcel revient sur l’idée que l’on se fait d’Audiard « monstre du cinéma » , bourreau de travail, capable de fournir simultaném­ent cinq scénarios et quatre dialogues. « Oui, mais c’est parce qu’il avait des dettes colossales ! Il avait besoin d’argent en permanence. De l’argent qui filait entre ses mains comme chez d’autres le sable… »

Casse-gueule. Un « spectacle » pas fabuleux pour un enfant, il en convient, qui venait s’ajouter à un milieu « très incertain, très angoissant, pas vraiment structuran­t » pour lui. Voilà pourquoi, à l’adolescenc­e, l’enfant unique de cette famille où tout le monde cravache sans cesse trouve une alternativ­e à cet environnem­ent qui ne lui plaisait pas. Au lycée, les parents médecins de copains arméniens lui montrent la voie « sérieuse » de la médecine, qui lui permet d’échapper à l’ « interdit implicite » de suivre celle de sa famille. Chez lui, on respecte ce choix. « On s’est beaucoup occupé de moi, on m’a beaucoup protégé, mais on m’a aussi beaucoup laissé regarder. C’est un principe chez les Audiard. » Un principe qu’il apprend auprès de l’autre figure tutélaire, son oncle Jacques, le cadet de François. « Il m’a porté sur les fonts baptismaux et a bien assuré sa mission de parrain. » Marcel lui doit beaucoup, y compris pour avoir incarné un modèle opposé à celui de Michel et François. Lorsque l’on évoque les relations père-fils, connues pour avoir été d’humeur variable, ses souvenirs vont de ses 9 ou 10 ans, lorsqu’il les voyait passer les week-ends ensemble, à la dernière année de vie de Michel, gravement malade, que Jacques épaule jusqu’à écrire à sa place les dialogues de ses derniers films. « Je pense que Jacques a dû prendre un chemin parallèle pour se développer, confirmer son talent d’écriture, se distinguer, par rapport à Michel qui était un homme très orgueilleu­x, assez sûr de son pouvoir sur le cinéma. Moi je n’ai pas ce problème, je ne suis pas le fils, je n’ai plus de père. » Mais il porte un nom et quelque part en lui sommeillai­t l’envie d’ « exister d’une façon plus audiardien­ne » . Etre le bon docteur ne suffit plus ? « C’est casse-gueule, je sais. Jacques irradie d’une puissance terrible, mais Michel est mort il y a plus de trente ans, il y a prescripti­on. » Ainsi, Marcel a pris la plume, signant de son patronyme un hommage – « des fois qu’on soit un peu attendus » …

« Le cri du corps mourant » , de Marcel Audiard (Cherche-Midi, 400 p., 17,50 €).

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Collection­neur. Marcel Audiard, pédopsychi­atre de son métier, dans le bureau de son domicile transformé en cabinet de curiosités. Sur la table trône une sculpture en métal, vestige du film de son grand-père « Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu...
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L’art d’être grand-père. Premier regard entre Michel et Marcel, son premier petit-fils.
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 ??  ?? Aux commandes. Marcel, pilote d’hélicoptèr­e sous l’oeil de Michel, au cours d’un tournage.
Aux commandes. Marcel, pilote d’hélicoptèr­e sous l’oeil de Michel, au cours d’un tournage.
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elle cause ! » . Derrière, en imper, François, le père de Marcel. Avec Jean Carmet (à g.), le même jour.
L’enfant au pistolet. Michel et son petit-fils sur le tournage d’ « Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! » . Derrière, en imper, François, le père de Marcel. Avec Jean Carmet (à g.), le même jour.

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