Fillon droit dans ses bottes
Plus que jamais combatif, l’exPremier ministre croit de nouveau à sa victoire en mai.
Ce lundi 27 février, au QG de François Fillon, certains se sont vigoureusement frictionné les tympans pour être sûrs d’avoir bien entendu. Certes l’anticipation fait partie d’une campagne, évidemment les grands événements se prévoient à l’avance… Il n’empêche. Entendre, de bon matin, l’état-major plancher, s’agiter sur le meeting de l’entre-deux-tours prévu pour le moment à Nice, voilà qui en a surpris plus d’un. Trois jours plus tôt, le Parquet national financier (PNF) décidait l’ouverture d’une information judiciaire, le rival Macron annonçait une mesure remarquée ( « Démago ! » hurlent les fillonistes) : l’exonération pour la classe moyenne de la taxe d’habitation, quelques jours à peine après avoir scellé une alliance inédite avec François Bayrou. Quant aux sondages auxquels se raccrochent les pro-Fillon, ils commencent à suggérer son élimination au premier tour. Alors, échafauder la stratégie de l’entre-deux-tours, est-ce vraiment la priorité ?
A l’énoncé de cette question, Fillon pousse un soupir d’agacement. « Tout le monde me prédisait une défaite à la primaire » , aime-t-il rappeler avec dédain. Lui fait-on valoir que la situation est un brin différente aujourd’hui, puisque trois juges d’instruction se mêlent à l’élection, qu’il tempête : « Personne ne m’empêchera de faire campagne ! » Le Sarthois poursuit sa route, comme si l’affaire Penelope appartenait à un passé enterré. Il ne dit pas « c’est très dur », mais « ça a été très dur » . D’ailleurs, pour anéantir toute trace de cette époque douloureuse, il a refait son affiche de campagne dont la photo avait été prise au lendemain de la diffusion d’« Envoyé spécial ». De l’avis de tous, il arborait des traits tirés, atterrés, bref, un cliché inutilisable pour une campagne contre le fringant Macron. La nouvelle séance a eu lieu quelques heures avant que le PNF annonce l’ouverture d’une information judiciaire. Cette fois, « Penelope a surveillé » , dit-il. On ne relève pas l’information, il insiste : « Les rumeurs selon lesquelles elle serait partie sont ridicules. Elle est avec moi, elle est très solide. Mais elle a été affectée, comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Il y a quelque chose qui ressemble à un viol, là-dedans… » Viol, le mot claque. Surprend. Il appartient au vocabulaire du nouveau Fillon, Fillon le belliqueux qui revendique l’envie d’ « affronter physiquement » ses détracteurs. Lui, si austère, si tempéré dans ses mots
« Penelope a été affectée (…) Il y a quelque chose qui ressemble à un viol, là-dedans… » François Fillon
hier, se mue en candidat outrancier qui n’hésite pas à dénoncer un climat de « quasi-guerre civile » pour évoquer les agitateurs qui l’accueillent en tapant sur des casseroles. Comparer ces mouvements aux émeutes en banlieue ? Curieux mélange... « Je ne mélange rien, se défend-il. Il n’est pas normal, quels que soient les motifs, qu’on vienne perturber une campagne présidentielle ! Je n’ a i au c u n e s y mp at h i e po u r Mme Le Pen, mais elle doit pouvoir faire ses meetings. On est où ? Au Far West avec des hors-la-loi qui attaquent des cars sur l’autoroute ? »
Réunion stratégique. Avec les siens aussi, il use désormais de ce ton bagarreur. Quand, devant les parlementaires, Patrice Martin-Lalande l’interpelle pour dénoncer l’absence de parité à la tribune, il rétorque : « Retailleau, vous l’avez élu, non ? Christian Jacob aussi ? Bon. » Aux empêcheurs de tourner en rond il ordonne : « Arrêtez de dire partout que les juppéistes veulent ci, que les sarkozystes veulent ça, ça crée une petite musique désagréable ! Alain [Juppé, NDLR] m’a demandé de parler plus d’Europe, mais cessez de dire qu’on a plusieurs Europes ! Juppé et moi, on a la même Europe, la seule différence, c’est Séguin. »
Malgré ses promesses en pleine tourmente d’associer davantage les diverses tendances des Républicains, il semble à présent décidé à n’en faire qu’à sa tête ou presque. Obsédé par la loyauté, qui lui a parfois fait défaut depuis que Le Canard s’est mis à cancaner, il a remis un peu d’ordre dans sa garde rapprochée. Désormais, le dimanche, seule une poignée de fidèles le rejoint pour une réunion stratégique. Parmi eux, Patrick Stefanini, Anne Méaux, Myriam Lévy, son ancien directeur de cabinet, Antoine Gosset-Grainville, sa plume, Igor Mitrofanoff, l’ancien patron d’Axa Henri de Castries et un seul politique : le rectiligne Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR. Un nouveau venu s’installe parfois autour de la table, son ami l’avocat et écrivain François Sureau. L’homme, connu pour son attachement aux valeurs morales dites de gauche, détonne dans cette assemblée. Début février, il obtient l’annulation par le Conseil constitutionnel du délit de consultation des sites terroristes. Une victoire qui donne lieu à un échange animé avec Retailleau, opposé à l’annulation. Mais aussi la preuve, selon un lieutenant de Fillon, que « François est capable d’agréger des personnalités variées » . Macron n’a qu’à bien se tenir ?
Quand le candidat d’En Marche ! engrange les ralliements, « Fillon stagne » , déplore l’un de ses fidèles. Certes, des accords sont finalisés avec l’UDI, mais les grandes figures qui auraient pu le rejoindre hier semblent maintenant rebutées par l’affaire. Jean-Louis Borloo, par exemple. Ceux qui, dans l’entourage de Fillon, ont discuté avec le centriste ont senti chez lui
une réserve due au Penelopegate. Idem chez les élus locaux. Le camp Fillon espérait faire une belle démonstration de force avec la publication par le Conseil constitutionnel des parrainages. «Nous en publierons 2000», soufflaient, fiérots, les stratèges du candidat. Dans ces conditions, pourquoi Stefanini a-t-il pris la décision de rendre effective l’investiture aux législatives des élus locaux après et seulement après que leurs parrainages ont été rendus publics ? « Il est logique que les candidats investis par LR et l’UDI s’engagent pleinement dans la bataille présidentielle en soutenant François Fillon, assure le directeur de campagne. Quoi de mieux qu’un parrainage officiel pour le faire ? »
Au contact. A défaut d’obtenir un soutien massif et enthousiaste des politiques, Fillon espère décrocher celui de la « société civile », qu’il assure vouloir mettre à l’honneur dans son gouvernement. Sa façon à lui de se présenter comme le candidat antisystème, antiélites, et de récupérer ainsi des électeurs écoeurés par l’affaire et parfois tentés par un vote en faveur de Marine Le Pen. Pour élargir son socle, il part à l’assaut de « la France des sous-préfectures » , dixit Sébastien Lecornu, son directeur de campagne adjoint. Exit « les grandes salles impersonnelles du candidat Macron » , Fillon veut aller au contact des Français, débarrassé du mur de caméras qui empêche les échanges francs et chaleureux. Mais même sans journaliste, Fill on reste Fill on. Un candidat peu friand des poignées de main prolongées. Quand son équipe clame ses grandes ambitions : « Un jour, un événement » , lui, qui admet volontiers un goût prononcé pour la tranquillité, se satisfait de deux escapades par semaine, le plus souvent en Ile-de-France. Ses fidèles aimeraient aussi le voir renouer avec les médias. Thierry Ardisson, ami de Méaux, a même tenté de le convaincre de participer à son émission « Salut les Terriens ». En vain. Fillon a fini par concéder un JT le 5 mars. Mais à ceux qui osent lui demander un effort il assène : « J’ai gagné la primaire avec MA campagne. »
Au fond, Fillon prête peu d’attention à la forme, convaincu que seul le projet permet la victoire : « Je déroule mon programme en restant sur ma ligne directrice : d’un côté, une fermeté sur la sécurité, les questions de défense et, de l’autre, le redressement économique. » Parmi ses proches, certains s’inquiètent de sa dureté en matière économique et plaident pour l’injection d’une dose de social à l’heure où Macron fait du gringue aux classes moyennes et Marine Le Pen séduit les classes populaires. Eric Woerth et Luc Chatel ont notamment tenté d’obtenir une baisse de l’impôt sur le revenu. François Baroin a réclamé une baisse de la TVA. Pour l’instant, il semblerait que personne n’ait obtenu gain de cause. « Fillon est dans son couloir, il se moque de ses adversaires » , décrypte-t-on dans son entourage. Un argument déjà utilisé... par Alain Juppé