L’apocalypse se porte bien
Les Français, rois du pessimisme, sont, pour plus de la moitié d’entre eux, prêts à voter pour des partis qui mèneraient notre pays à la faillite.
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campagne électorale haineuse et putride en apporte la confirmation : le quinquennat de François Hollande n’a pas permis, comme cela avait été promis, de « réenchanter le rêve français ». Il a au contraire vu fortement s’aggraver la « dépression nerveuse collective », pour reprendre la formule de Keynes, dont la France souffre depuis de longues années et dont les enquêtes internationales permettent de mesurer la persistance et la gravité.
La dernière en date, menée par Ipsos dans 22 pays et publiée début février, indique que cinq années de hollandisme ont conforté la première place de la France dans le classement mondial des nations les plus pessimistes, les plus défiantes et les plus inquiètes. Les deux tiers des Français (67 %) pensent que leur pays est en déclin, 38 % seulement des Canadiens. Près de trois quarts des Français (73 %) se disent « incompris » des experts, contre 46 % des Allemands et 38 % des Suédois. Et à la question : « Diriez-vous que les jeunes d’aujourd’hui auront une vie meilleure que leurs parents, moins bonne, ou qu’il n’y aura pas de différence ? », 67 % des Français estiment qu’elle sera « moins bonne », soit le taux le plus élevé parmi toutes les populations interrogées. Seuls 45 % des Suédois, 38 % des Brésiliens et 22 % des Indiens pensent de même.
C’est en 1974 que l’économiste américain Richard Easterlin avait mis en évidence son célèbre « paradoxe » en démontrant de manière empirique qu’à long terme le développement économique n’augmente pas, contrairement à ce qu’on pourrait spontanément imaginer, le sentiment de bien-être des individus. Quarante ans plus tard, notre président vient de faire progresser la science économique en complétant le « paradoxe d’Easterlin » par le « théorème de Hollande ». Qui affirme que, si la hausse du PIB ne fait peut-être pas le bonheur, sa stagnation provoque immanquablement le malheur. Le quinquennat qui s’achève a en effet démontré, de façon très empirique aussi, que l’absence durable de croissance et la persistance d’un chômage élevé sur fond de promesses non tenues finissent par saper le moral d’une nation. Fin 2012, 89 % des Français imaginaient que 2013 serait une année économiquement meilleure que la précédente. Fin 2016, ils n’étaient plus que 52 % à attendre une amélioration pour 2017.
Avec une croissance de 3,3 % en 2016, un taux de chômage de 6,8 %, un excédent de la balance courante de 4,8 % du PIB et une dette limitée à 40 % du PIB, les Suédois ont plus de raisons macroéconomiques de voir l’avenir en rose que les Français, qui, comme tous les dépressifs, ont de surcroît une fâcheuse tendance à tout voir en noir. A avoir une perception subjective, déformée et exagérément pessimiste de la réalité économique objective.
Un récent rapport de France Stratégie rappelait que des cinq grands pays d’Europe de l’Ouest la France est celui où le taux de pauvreté est le plus bas, mais c’est aussi celui où la peur de tomber dans la pauvreté est la plus élevée. Que la France est un des pays au monde où la distribution des revenus est la moins inégalitaire, mais également l’un de ceux où le sentiment que les inégalités sont très fortes et s’aggravent est le plus élevé. Dans le même registre, les trois quarts des Français se posi-
Si la hausse du PIB ne fait peut-être pas le bonheur, sa stagnation provoque immanquablement le malheur.
tionnent spontanément dans les classes populaires ou défavorisées, alors qu’ils appartiennent pour les deux tiers à la classe moyenne. Enfin, 4 Français sur 10 disent craindre un épisode de chômage dans les mois à venir, alors que la probabilité effective s’échelonne de 1,8 % pour les cadres à 7,3 % pour les ouvriers non qualifiés. Il est urgent de mettre la France sous Prozac.
Depuis toujours mal soignée par des gouvernements incapables et des psychiatres incompétents, la dépression de la France a empiré au cours des dernières années. Ses tendances suicidaires se sont fortement accentuées. 56 % des Français (ils n’étaient que 34 % il y a cinq ans) se disent prêts à voter pour des candidats (Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou…) dont la mise en oeuvre des programmes économiques entraînerait la faillite du pays et provoquerait son décès économique. Instauration d’un revenu universel dévoyé en allocation supplémentaire, augmentation de 15 % du smic, fermeture des fron- tières, retour au franc, non-remboursement de la dette : les modes de suicide, plus ou moins raffinés, varient d’un candidat à l’autre mais sont tous d’une grande efficacité pour ravager la compétitivité du pays, ruiner l’épargne des ménages, faire exploser les taux d’intérêt, signer l’arrêt de mort de l’euro et de l’UE.
La France ressemble un peu plus chaque jour à ces sectes apocalyptiques rendues tristement célèbres par les suicides collectifs qu’elles organisent pour permettre à leurs membres de fuir une terre hostile et de rejoindre un monde meilleur. Il y a tout juste vingt ans, le 26 mars 1997, jour de passage de la comète HaleBopp, le gourou Marshall Applewhite se suicida avec 38 adeptes de sa secte, Heaven’s Gate (Porte du paradis). Tous étaient convaincus que leur âme allait pouvoir rejoindre un vaisseau spatial caché dans la queue de la comète et piloté par Jésus en personne. Une majorité de Français semble aujourd’hui décidée à célébrer à sa façon, dans les urnes, cet anniversaire en choisissant de s’embarquer pour un ultime voyage économique sans retour