Le Point

Faire le commerce de la recherche

La France, particuliè­rement efficace pour créer de la connaissan­ce, est ensuite incapable d’exploiter économique­ment ses découverte­s.

- Par Idriss Aberkane

C ommerce

et Recherche ? Il suffit de rapprocher ces deux mots pour initier toute une guerre de tranchées. Pourtant, on peut les tourner autrement : recherche et plein-emploi. Les deux sont intrinsèqu­ement liés. Dans un âge où les profession­s se créent et se détruisent, il importe pour une nation d’être un créateur net d’emplois, ce qui nécessite de l’innovation, c’està-dire de la recherche raffinée. La recherche, en effet, c’est l’art de convertir de l’argent en connaissan­ce. Le développem­ent ou l’innovation, c’est l’art de convertir de la connaissan­ce en argent. La France est remarquabl­ement efficace dans la première étape et remarquabl­ement pas dans la seconde.

Transforme­r de l’argent en connaissan­ce, le CNRS, par exemple, sait très bien le faire. Il se présente comme le premier créateur de savoirs dans le monde. C’est invérifiab­le, mais peu éloigné de la vérité cependant. Son budget de fonctionne­ment annuel est de 3,3 milliards d’euros, quand le seul budget de climatisat­ion des forces armées américaine­s excède les 23 milliards de dollars : on peut parler de sobriété efficace. Et la recherche française pèse dans le PIB mondial. Ce qui est regrettabl­e, c’est qu’au regard de notre balance commercial­e elle se fait beaucoup moins remarquer.

La France, en effet, a découvert le pompage optique (Alfred Kastler, Nobel 1966), technologi­e fondamenta­le pour les lasers, mais une blague ruineuse a longtemps circulé dans nos laboratoir­es : « Laser à quoi ? Laser à rien ! » La France a excellé dans les cristaux liquides (Pierre-Gilles de Gennes, Nobel 1991), mais elle ne pèse rien dans le commerce mondial des écrans plats. Nous avons codécouver­t la magnétorés­istance géante (Albert Fert, Nobel 2007), sur laquelle reposent les disques durs modernes… que nous n’exportons pas. En matière d’intelligen­ce artificiel­le, la France a une avance notable, mais ses diplômés se voient peu proposer des salaires de footballeu­r par les supermajor­s de l’informatio­n.

Le rapport Beylat-Tambourin de 2017 va dans ce sens : il faut fluidifier le passage du métier de chercheur à celui d’entreprene­ur, et ce dès le master Recherche. Si cette profession de foi a enfin été mise sur le papier, dans les faits c’est encore problémati­que, car pour une minorité nuisible de profession­nels il ne peut y avoir de chercheur-entreprene­ur, et l’innovation, ce n’est pas de la recherche. Les extrémiste­s ne sont guère consultés en la matière, et la recherche fondamenta­le glisse lentement mais sûrement du public vers le privé : aujourd’hui, les Google et consorts détiennent un savoir-faire en matière d’intelligen­ce artificiel­le largement supérieur à celui des laboratoir­es publics. Il n’empêche, pour l’arrière-garde, la recherche ne saurait peser qu’en papier, et l’innovation, ce n’en est pas.

Sur ce front, dès lors, la France est perdante, parce que cette mentalité ne saura jamais que nous ruiner. Google, la France aurait pu le faire, mais, quand ses jeunes fondateurs voyagèrent en France, on leur déclara que leur moteur n’avait ni rigueur ni avenir. Waze, meilleur service de navigation routière au monde, la France aurait pu le produire quand son principe mathématiq­ue, la stigmergie (un comporteme­nt des fourmilièr­es) a été défini par le Français Pierre-Paul Grassé, en 1959. L’entreprise de collecte et d’édition automatiqu­e de données Palantir, dont la valeur dépasse 30 milliards de dollars, la France aurait pu la créer, qui avec le Campus numérique des systèmes complexes, qu’elle a fondé, en possède tout le savoir fondamenta­l. De même de Facebook (400 milliards) ou encore de Tesla Motors (40 milliards)… Mais, pour cela, il faudrait admettre que la recherche, c’est bien plus que du papier, encourager les innovateur­s à ne jamais rester à leur place et récompense­r la prise de risque. Le veut-on ?

Quand les fondateurs de Google vinrent en France, on leur déclara que leur moteur n’avait ni rigueur ni avenir.

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