Gilles Richard : ce que l’histoire de la droite nous apprend
De 1815 à nos jours, la droite s’est construite au gré des divergences et des recompositions, selon l’historien.
Pendant cinquante ans, il y eut ce monument de l’histoire politique, la somme de René Rémond consacrée aux droites et au triptyque légitimiste-bonapartiste-orléaniste, sujet aux métempsycoses. Gilles Richard, professeur à l’université de Rennes, qui fut son élève, apporte sa pierre à l’édifice avec un travail considérable (« Histoire des droites en France de 1815 à nos jours », Perrin). Lui, ne croit pas aux recompositions et met l’accent sur une pluralité de familles ellesmêmes mouvantes. S’il rappelle que les droites ne furent jamais plus unies que dans l’obligation d’affronter un ennemi commun, comme en 1938, en 1973 ou après 1981, il insiste sur leur difficulté à s’unir dès lors qu’elles semblent avoir triomphé de la gauche, comme aujourd’hui
Le Point : En 1901, la loi sur les associations permet de former de vrais partis. La droite, qui s’est difficilement ralliée à la République, s’organise-t-elle aussi bien que la gauche ? Gilles Richard :
Oui. Le plus grand parti de France est alors de droite, l’Action libérale populaire, qui regroupe 250 000 membres, des catholiques ralliés. Dès 1901 – alors qu’il faut attendre 1905 pour voir se former la SFIO – apparaît l’Al- liance républicaine démocratique, de Waldeck-Rousseau, une formation de centre droit qui va compter dans ses rangs Poincaré, Flandin, Reynaud… Mais l’unité de la droite est impossible, déjà, entre des catholiques ralliés et des libéraux comme Waldeck-Rousseau favorables à la laïcité et acceptant de s’unir aux radicaux pour mieux isoler les socialistes.
Aujourd’hui, le courant néolibéral domine la droite classique. Quels ont été les avatars de ce courant ?
Les libéraux sont à l’oeuvre sous la Révolution avec le club des Feuillants et le vote de la loi Le Chapelier sur la liberté d’association. Ils resurgissent après 1830 avec Guizot, spécialiste de l’histoire britannique et partisan de la monarchie consti- tutionnelle censitaire. Leur parti, à compter de 1901, va être l’Alliance républicaine démocratique, qui, après 1945, prend le nom de CNIP (Centre national des indépendants et des paysans), d’où sortent les giscardiens avant qu’ils se retrouvent à l’UMP. Concurrencés dans les élections par les radicaux, ils n’ont jamais eu la majorité jusqu’à 1940, si bien qu’ils ont eu deux solutions : jouer la carte de l’alliance avec ceux-ci ou pratiquer le lobbying parlementaire avec l’UIMM (Union des industries métallurgiques et minières), fondée en 1901. Celle-ci est administrée par Robert Pinot, le premier grand lobbyiste en France, qui invente ce genre, payé par les patrons pour faire aboutir leurs intérêts auprès des parlementaires. Il sera relayé dans les années 1930 par Claude-Joseph Gignoux, personnage méconnu mais central, chef de la Confédération générale du patronat français en 1936. A la lumière de l’expérience du New Deal américain, il incarne ces néolibéraux qui ne soutiennent plus un laisser-faire intégral, mais prônent un Etat garant institutionnel du marché.
Comment expliquer cette résistance de l’électorat au libéralisme ?
Par la nature de la société. Depuis la Révolution, la France a institué un groupe social central, celui de la petite paysannerie. C’est le choix de juillet 1793, lorsque la Convention accorde l’abolition complète des droits seigneuriaux aux paysans, en armes depuis 1789, en échange de la mobilisation générale. Contrairement à l’Angleterre, où la politique des enclosures a anéanti très tôt la petite paysannerie, en France, celle-ci résiste très longtemps. Cette résistance face aux nobles ou aux notables ancre la démocratie en France, permet au pays d’être le premier à opérer sa révolution démographique – il ne faut pas diviser la ferme –, mais ralentit l’exode rural. Ce qui explique aussi pourquoi le patronat, dès avant la saignée humaine de la Première Guerre, doit faire appel à une main-d’oeuvre immigrée : les paysans ne sont pas aisément
« Depuis 1983, c’est la question “nationale” qui l’emporte et scinde la droite. »