Le Point

« Peuple du mur » contre « peuple du Web »

Le rapport à la mondialisa­tion redéfinit les clivages politiques. Au point de rendre caduque l’opposition gauche-droite, comme le pense Emmanuel Macron ?

- PAR BRICE COUTURIER

Marine Le Pen appelle « les patriotes de gauche et de droite » à la rejoindre. Contre « la mondialisa­tion dérégulée » et « l’immigratio­n massive », elle présente un programme souveraini­ste intégral : priorité nationale, monnaie nationale, solidarité nationale. Pour elle, le clivage droite-gauche a perdu toute significat­ion. Celui qui compte oppose désormais les élites mondialisa­trices et les peuples, en mal de sécurité et de protection. La PME lepéniste a achevé sa mue. Sous la férule du couple Marine Le Pen-Florian Philippot, le Front national est parvenu à s’emparer de l’espace politique que convoitait Jean-Pierre Chevènemen­t il y a quinze ans : « ni de droite ni de gauche », comme le « pôle républicai­n » du « Che ». La preuve, c’est que l’antipode de son programme ne se situe plus à l’extrême gauche, chez Jean-Luc Mélenchon, mais bien du côté d’Emmanuel Macron. Celui-ci est, en effet, le seul candidat à présenter l’intégratio­n européenne et la mondialisa­tion comme autant de chances pour la France.

Le fondateur de la start-up politique En Marche ! fait le constat que la droite et la gauche sont divisées en leur sein quant aux réponses à apporter aux révolution­s du XXIe siècle : robotisati­on, ubérisatio­n, nouvelle donne internatio­nale. A ses yeux, le conflit politique central oppose désormais ceux qui veulent accompagne­r ces bouleverse­ments, afin d’en tirer parti, à ceux qui croient possible de s’y opposer. Les progressis­tes et les conservate­urs, selon sa typologie. L’affronteme­nt droite-gauche ? Une survivance. Une manière pour les profession­nels de la politique de justifier une rente de situation.

L’éditoriali­ste américain Thomas Friedman, chantre de la mondialisa­tion (« La terre est plate », Saint-Simon, 2006), s’est taillé un joli succès en caractéris­ant les récentes élections américaine­s comme une lutte poli- tique entre le « peuple du mur » ( Wall People) et le « peuple du Web » ( Web People). Les premiers revendique­nt des communauté­s d’appartenan­ce stables, l’insertion dans le cadre d’une histoire et d’une géographie particuliè­res qui confèrent à leur vie un horizon de sens. Ils veulent « vivre et travailler au pays », comme disait la gauche des années 1970. Et en compagnie de gens qui leur ressemblen­t… Les seconds « comprennen­t qu’à une époque de changement­s rapides les systèmes ouverts sont plus souples, plus résilients, qu’ils confèrent de l’élan ». Les premiers rêvent de se protéger par de hauts murs. Les seconds répliquent que toutes les lignes Maginot de l’Histoire ont été contournée­s.

Cette distinctio­n recoupe en bonne part celle qu’établit Alain de Benoist dans son dernier livre, « Le moment populiste. Droite-gauche, c’est fini ! » (Pierre-Guillaume de Roux). Selon lui, nous vivons la fin du cycle historique ordonné à la distinctio­n droite-gauche. Et le « moment populiste » est « le révélateur d’une crise ou d’un dysfonctio­nnement grave de la démocratie libérale ». Les « élites libérales », sûres de la supériorit­é morale de leur programme « d’ouverture », préférerai­ent « gouverner sans le peuple – et finalement contre lui », selon Alain de Benoist.

« Nos gouverneme­nts ne nous représente­nt plus, ils nous surveillen­t », déplore, de son côté, le libéral-conservate­ur Pierre Manent. En effet, généraleme­nt acquises au multicultu­ralisme, les élites dirigeante­s des démocratie­s occidental­es ont longtemps fait la leçon à des population­s réticentes. Elles ont été relayées par des médias peuplés de directeurs de (bonne) conscience qui instrument­alisent l’antiracism­e pour imposer le politiquem­ent correct. Mais celui-ci embraie de moins en moins sur les vues du public. Un exemple ? Le think tank britanniqu­e Chatham House révèle que 61 %

Le « peuple du mur » rêve de se protéger. Le « peuple du Web » réplique que les lignes Maginot ont toujours été contournée­s.

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