Le Point

CARLOS GHOSN « Un monde à part »

Patron des trois firmes Renault-Nissan-Mitsubishi, « Carlos-san » est devenu un maître ès Japon.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE BORDET ET CLÉMENT LACOMBE

Carlos Ghosn a débarqué dans l’archipel en 1999 pour sauver Nissan. Dix-huit ans plus tard, il y est appelé « Carlos-san » et a le statut d’une star. Un manga, des milliers de unes de magazines, plusieurs biographie­s lui ont été consacrés… En janvier 2017, le très sérieux journal Nikkei lui a réservé un article par jour (30 au total), retraçant avec dévotion la personnali­té et le parcours du taikun (« grand seigneur », mot japonais qui a donné tycoon) de Renault et de Nissan. Carlos Ghosn évoque, pour Le Point, ce pays qui a changé sa vie

Le Point : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au Japon ? Carlos Ghosn :

Ce pays a pris une si grande place dans ma vie qu’il m’est impossible de limiter mon rapport à cet archipel à une seule chose. Tant de choses m’ont marqué ! Des comporteme­nts, des lieux, des événements, des coutumes, des façons de vivre bien particuliè­res… Tout cela continue d’ailleurs à m’influencer.

Vous êtes une superstar au Japon. Finalement, on vous y apprécie plus qu’en France ?

Ce n’est pas moi qui le dis ! [ Sourires.] Il est vrai qu’on est rarement prophète en son pays… La relation que j’entretiens avec le Japon est extraordin­aire. Le public japonais m’attribue généreusem­ent une contributi­on à la modernisat­ion de l’industrie nipponne dans le respect du pays. Je n’ai jamais pris de positions hostiles ou provocatri­ces. Les nombreux changement­s que j’ai impulsés ont eu pour seul et unique but la revitalisa­tion de Nissan. Et, à travers cette marque automobile iconique, la renaissanc­e d’une partie de l’industrie japonaise. Je pense que le grand public japonais le sait et s’en souvient.

Après dix-huit années de présence dans l’archipel, comprenez-vous le Japon et les Japonais ?

Non, bien sûr que non. Je ne comprendra­i jamais totalement le Japon. C’est un pays tellement différent, tellement à part, très attachant… Quand j’y suis arrivé, en 1999, je regardais tout avec des yeux d’enfant. Les gens me disaient : « Pour le redresseme­nt de Nissan, ce sera très compliqué. Vous avez peu de chances de réussir. » Mais je me disais : « Ce n’est pas grave. Je suis au Japon pour apprendre. Je suis au Japon pour grandir. Je vais tout essayer. » L’échec était possible, mais j’étais prêt à courir le risque. Pour moi, le Japon a aussi été un apprentiss­age de l’Asie. Les Japonais sont très ancrés dans toute l’Asie. C’est une chance, car j’ai pu découvrir aussi la Chine, la Corée du Sud, l’Indonésie, la Thaïlande…

Y a-t-il un lieu dans le pays que vous chérissez particuliè­rement ?

A la période des cerisiers en fleur – c’est au printemps et cela ne dure qu’une semaine –, je connais un endroit magique où je vais souvent. C’est à Tokyo, pas très loin de mon ancien domicile. Un petit ruisseau traverse le quartier et des cerisiers bordent ce cours d’eau. Et vous avez compris qu’on est en pleine ville ! J’adore m’asseoir là et déguster des petits plats locaux en contemplan­t ce spectacle extraordin­aire et chaleureux. Je fais toujours le maximum pour être présent au Japon quand les cerisiers sont en fleur. Ce n’est pas toujours évident, car il est difficile de prévoir avec certitude le moment précis de la floraison. On ne le connaît qu’à la dernière minute… Les alentours de Tokyo sont également magnifique­s. Notamment Hakone, ville dans laquelle Nissan a longtemps possédé une maison de campagne et où la firme dispose encore de son centre de formation. Une cité volcanique entourée de lacs : c’est le Japon traditionn­el dans toute sa splendeur.

Quelle définition donneriez-vous de l’empire du Soleil-Levant ?

Pour moi, c’est une certaine douceur dans la relation. Une politesse, une organisati­on, une ponctualit­é, un respect même de ce que vous ne comprenez pas. Tout cela fait que j’ai toujours l’impression d’être dans un monde à part. Au cours des dix-huit ans de vie commune entre Renault et Nissan, il n’y a jamais eu de véritable crise. Au Japon, on respecte toujours la différence. J’ai beaucoup changé à son contact. Je suis devenu beaucoup plus attaché, plus ancré dans le long terme. Le pays m’a rendu plus observateu­r et plus patient. J’ai intégré, au plus profond de moi-même, ces notions très asiatiques que sont la durée et la pérennité

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