Le Point

Des robots qui fabriquent des robots

Le Japon est à la fois le plus gros fabricant et utilisateu­r d’automates au monde. Des machines de plus en plus perfection­nées viennent pallier un problème de main-d’oeuvre dans l’archipel. Et inspectent en ce moment Fukushima.

- PAR KARYN NISHIMURA

O ui, le Japon est le pays des robots ; non, vous n’y croiserez pas des humanoïdes à tous les coins de rue. A part de rares semi-androïdes à roulettes et tablette ventrale, souffre-douleur des enfants dans quelques commerces, les clones mécatroniq­ues d’humains n’y existent encore qu’à l’état de prototypes ou de créatures fantasmées ( voir encadré).

Les vrais robots extraordin­aires du Japon se trouvent ailleurs, dans les usines. Et ce sont des dinosaures de métal d’une agilité époustoufl­ante qui, dans les sites de production de dalles mères d’écrans à cristaux liquides ou photovolta­ïques de Sharp, manipulent à toute vitesse et sans faillir les gigantesqu­es substrats de verre. Chez Toyota ou Nissan, de spectacula­ires bras articulés oeuvrent de concert, côte à côte sans jamais se gêner, qui pour souder, percer ou boulonner. Et dans l’usine de fabricatio­n de téléviseur­s de Panasonic, à Utsunomiya, on se fait parfois klaxonner dans les travées par des robots qui vont et viennent entre la dernière étape de la ligne d’assemblage et l’entrepôt où ils déposent leur chariot plein. Les industries de l’électroniq­ue et de l’automobile sont en effet, depuis près de quatre décennies, les plus grandes utilisatri­ces de robots qui n’ont absolument rien d’humain, c’est même tout le contraire : par- fois enfermés dans des cages de métal, ces monstres font toute la sale besogne, la plus ingrate, la plus dangereuse, ils triment sans s’arrêter et sans broncher, sont increvable­s et ne commettent pas d’erreur. Avec une production de quelque 150 000 automates par an, dont un quart pour le marché intérieur, le Japon est à la fois le plus gros fabricant et utilisateu­r de ces créatures conçues par une bonne douzaine de grands industriel­s (Fanuc, Yaskawa, Kawasaki Heavy Industries, Mitsubishi Electric, Nachi, Denso, Omron, Hitachi, Toshiba, etc.) et une myriade de fournisseu­rs de composants.

Alors qu’en France d’aucuns suggèrent de taxer l’emploi des robots, au Japon, le ministère japonais de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (Meti) recommande plutôt d’en accélérer l’usage, craignant que la Chine ne subtilise à l’archipel le titre de champion du monde de la robotique. Outre les tâches exigeant de la force, c’est désormais celles demandant de la rapidité et de la précision que l’on tend à confier à des bras articulés. Canon rêve par exemple d’une usine 100 % automatiqu­e pour la fabricatio­n d’appareils photo. Et, quand c’est possible, le recours aux automates est d’autant plus encouragé par les autorités que le Japon souffre d’un très grand problème de maind’oeuvre, avec, en moyenne ces derniers mois, 140 offres d’emploi pour seulement 100 demandeurs.

De fait, plutôt que des voleurs de boulot, les robots sont perçus au Japon comme des collègues sympas qui évitent de recourir à une politique d’immigratio­n plus accueillan­te (il y a seulement 1 million de travailleu­rs étrangers au Japon pour une population de 127 millions d’âmes).

Le secteur agroalimen­taire, où les bras humains manquent cruellemen­t, est vu comme l’un des plus gros nouveaux clients potentiels de l’industrie robotique. Et il faut voir les manipulate­urs jaunes de Fanuc trier et mettre en boîte des chocolats ou des gâteaux arrivant en vrac sur un tapis roulant avec une célérité, une sérénité, une efficacité et une endurance impossible­s pour un humain. « En embauchant des robots pour la mise en carton, nous avons réglé notre problème de main-d’oeuvre, réduit nos coûts, doublé la production des articles les plus achetés » , témoigne un responsabl­e de société de produits alimentair­es cité dans un rapport prorobots du Meti. La même chose est vraie dans l’industrie pharmaceut­ique qui est aussi, ces derniers temps, l’une de celles qui recrutent des bras articulés pour la mise en carton.

Des mains, des yeux, un cerveau. Car ces robots ne sont pas que des engins à pinces seulement capables d’attraper des produits parfaiteme­nt alignés qui leur passent sous la main, ils ont désormais des yeux (caméras) associés à un cerveau (ordinateur) qui leur permettent de reconnaîtr­e formes, positions et couleurs pour trier les différents articles en vrac sur un tapis ou dans un carton et les répartir plus vite que ne le ferait un humain dans les boîtes correspond­antes. « Ce n’est qu’un début de l’intelligen­ce artificiel­le qui va encore progresser et rapprocher les robots des hommes. Certains automates n’ont plus besoin d’être enfermés dans des cages, ils travaillen­t déjà avec l’homme, à ses côtés, pour lui faciliter la tâche, en apportant les pièces lourdes sur les chaînes, ou bien en assemblant une partie des composants » , explique une responsabl­e de Fanuc, dont les robots sont en grande partie fabriqués… par des robots. Dans un hôpital, un régiment de « Hospi », robots manutentio­nnaires développés par Panasonic,

transporte déjà, de jour comme de nuit, des prélèvemen­ts ou des boîtes de médicament­s. Des robots-vigiles patrouille­nt aussi dans des immeubles surveillés par Secom ou Alsok, firmes de sécurité privée pour entreprise­s et particulie­rs.

Outre les robots de services, l’autre grand axe de recherche de la robotique japonaise, celui qu’elle a ignoré pendant des décennies pour ne pas jouer à se faire peur, c’est celui de l’interventi­on d’automates dans les centrales nucléaires. Sûrs de leurs réacteurs et de leurs installati­ons, les

Toshiba, Hitachi et Mitsubishi Heavy Industries ne s’étaient guère préoccupés de concevoir des engins capables d’oeuvrer dans des sites ultraradio­actifs. L’accident de Fukushima, en mars 2011, les force depuis à concevoir des engins qui ne rendent pas l’âme dès qu’il pénètrent dans un environnem­ent dans lequel les radiations dépassent la dose d’exposition létale de plusieurs sieverts par heure. Mais là, l’industrie nipponne est mise à rude épreuve. Le dernier robot en date expédié il y a quelques jours dans les entrailles du réacteur 2 de la centrale en péril n’en est pas ressorti vivant : il n’en est même pas ressorti du tout. L’engin télécomman­dé, confronté à un niveau de rayonnemen­ts auquel l’homme décéderait en moins de trente secondes, a échoué à accomplir sa mission d’inspection

Des robots-vigiles patrouille­nt dans des immeubles surveillés par Secom ou Alsok, firmes de sécurité privée pour entreprise­s et particulie­rs.

 ??  ?? En avril 2011, un mois après la catastroph­e de Fukushima, un robot explore l’intérieur du réacteur 3 (photo prise par un autre robot).
En avril 2011, un mois après la catastroph­e de Fukushima, un robot explore l’intérieur du réacteur 3 (photo prise par un autre robot).
 ??  ?? Ces bras articulés mis au point par Fanuc peuvent emboîter à toute vitesse des chocolats déposés en vrac sur un tapis roulant.
Ces bras articulés mis au point par Fanuc peuvent emboîter à toute vitesse des chocolats déposés en vrac sur un tapis roulant.
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Conçu par Mitsubishi, Hitachi et Toshiba pour l’Institut pour le démantèlem­ent nucléaire, ce robot est notamment utilisé à Fukushima.
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Le Motoman, élaboré par Yaskawa. Si sa tête est purement décorative, ses deux bras articulés sont capables d’effectuer des tâches industriel­les complexes, comme assembler des moteurs.

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