*Amoureux du Japon
C’est bien connu, les Japonais forment un peuple diligent, voire besogneux.
La plupart du temps, les sujets ne sont pas dévêtus. Il est vrai que le kimono permet un accès bien plus rapide à l’objet du désir que nos robes et costumes fermés de savants laçages, boutonnages et bouclages. Sans compter qu’une fois celui-ci complètement défait il est pratiquement impossible de s’en revêtir correctement sans aide.
Souvent les amants ne sont pas seuls. Derrière un paravent se cache une épouse jalouse, une amante éplorée, un mari cocu ou l’ectoplasme qui n’en peut mais d’un guerrier tombé au combat, parfois également un farfadet égrillard caché dans un coin qui commente la performance. Les estampes érotiques sont en effet parsemées de délicats poèmes, de graves apophtegmes, de doctes maximes, mais plus souvent d’onomatopées, d’exclamations, de glapissements et autres commentaires savamment calligraphiés et fort coquins, que la décence ne permettrait pas de traduire ici. Ecrivain, auteur de cinq romans dont « La trace » (Seuil, 2007) et « Seppuku » (Seuil, 2015), Richard Collasse vit depuis trente ans au Japon, où il est aussi le PDG de Chanel. Il prépare au NeXus Hall de Tokyo une grande exposition Mapplethorpe – qui ira ensuite au festival Kyotographie – et travaille à un « Dictionnaire amoureux du Japon ». Son prochain roman, « Le pavillon de thé », sortira en mai au Seuil.
« Images pour rire ». Les plus grands artistes, d’Utamaro à Eisen en passant par Kunisada et Kuniyoshi, se sont essayés pour notre plus grand bonheur à cette forme d’expression. Il est vrai que c’était un travail lucratif. On pouvait louer les estampes érotiques par jeux de douze pour la semaine chez l’Amazon.com du coin. On les faisait circuler chez les amis, on les regardait en famille. On appelait aussi les shunga warai-e, « Images pour rire », ou katate de yomu edo no e, « Images d’Edo à lire d’une seule main ».
Les Etats-Unis, qui n’ont pas attendu Trump pour déranger l’ordre délicat du monde lorsqu’ils ont forcé l’ouverture du Japon avec les « navires noirs » du commodore Perry, ne se doutaient pas qu’au-delà de faire basculer l’empire du Soleil-Levant de son douillet isolement féodal directement dans la tonitruance du XXe siècle ils allaient bousculer par leur puritanisme occidental l’expression parfaitement innocente aux yeux des Japonais de l’érotisme au travers des shunga.
En effet, dès la deuxième année de son avènement au pouvoir, en 1868, l’empereur Meiji édicta une ordonnance publique bannissant la pornographie, suivie vingt ans plus tard d’une directive interdisant toute illustration de la nudité. Du jour au lendemain, les shunga disparurent de la circulation.
L’article 175 du Code pénal datant de 1907, toujours en vigueur, est notoirement ambigu, interdisant l’obscénité sans vraiment la définir. La porte ouverte à toute forme de censure.
C’est ainsi que plus de cent ans ont passé avant que la toute première exposition publique de shunga digne de ce nom puisse avoir lieu en novembre 2015, à Tokyo. En un mois, elle a attiré 450 000 personnes, dont 80 % de femmes studieuses.
Tirez-en la conclusion que vous voulez…