Quand les croisés
La légalisation du cannabis oppose les thuriféraires de l’émancipation aux conservateurs de la contrainte. Paradoxes : la question morale individuelle est occultée par le débat légal et l’obsession libertaire donne quitus à la main protectrice de l’Etat.
Se procurer du cannabis, en France ou ailleurs, n’est pas bien difficile. Mais acheter et consommer discrètement cette substance n’est pas ce que veulent les croisés de la liberté. Ils veulent pouvoir le faire aux yeux de tous et en toute légalité. D’ailleurs, les consommateurs ne sont pas forcément en première ligne du combat : les plus zélés sont ceux pour qui la liberté est un principe absolu. Il faut donc faire tomber une à une les barrières qui font obstacle à l’émancipation de la seule institution qui vaille, l’individu. Qu’importe que les individus soient aujourd’hui plus émancipés qu’ils ne l’ont jamais été : la libération n’est valable que si elle est totale. Aujourd’hui, leur nouvelle frontière est le cannabis à usage récréatif, mais cela pourrait être autre chose – si la cigarette était interdite, ce serait la cigarette.
Le combat libertaire s’applique à des cas identiques : des pratiques interdites de plus ou moins longue date parce qu’on les estime dommageables, mais dont le dommage est ambigu et de plus en plus discuté. Les libéraux distinguent le dommage à autrui et le dommage à soi-même, en considérant que le premier, quand il est avéré, peut motiver une interdiction légale, mais que le second est tolérable dans certaines limites, car il est supposé contrôlable par un individu rationnel. C’est dans cet esprit qu’on a libéralisé des pratiques sociales autrefois taboues comme le divorce ou l’avortement, et c’est dans cet esprit qu’on veut aujourd’hui libéraliser l’usage du cannabis récréatif. Le cannabis est le parfait exemple de produit aux dommages ambigus et discutés, sur lequel la science n’a encore atteint aucun consensus : certains chercheurs mettent en avant ses bien-