Le Point

De la liberté s’en remettent à l’Etat

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L’envie d’un Etat qui autorise et régule à la place de l’individu, c’est aussi ce qui est à l’oeuvre, aujourd’hui, dans les demandes de légalisati­on de la PMA pour tous ou de la GPA.

faits, comme ses vertus apaisantes, quand d’autres mettent en garde contre ses conséquenc­es psychiques néfastes. Cette ambiguïté et le risque modéré du produit suffisent, pour les libéraux, à justifier la libéralisa­tion de son usage.

La joute semble donc classique : les libertaire­s de l’émancipati­on contre les conservate­urs de la contrainte ; ceux qui aiment dégommer les limites contre ceux qui s’y accrochent. Mais la joute est perverse, en raison d’un tour de passe-passe. Comme souvent dans des débats similaires, si l’émancipati­on intégrale sert de tête d’affiche au combat des libertaire­s, l’argument libertaire cache en réalité un raisonneme­nt utilitaire : il faut libéralise­r telle pratique interdite non parce qu’elle est bonne, mais parce que son usage légal est plus efficace que son interdicti­on. On déplore qu’en cas d’interdicti­on la pratique existe quand même, mais dans des conditions non satisfaisa­ntes. C’est exactement le cas pour le cannabis, puisque les défenseurs de la libéralisa­tion fustigent l’existence du marché noir et de ses dérives.

« Meilleur des mondes ». L’effacement de la liberté, dans la campagne soi-disant libertaire, va plus loin. Ceux qui plaident pour la consommati­on légale du cannabis plaident pour deux mécanismes : sa légalisati­on et sa régulation. Mais comment ne pas voir qu’en légalisant la consommati­on de cannabis l’Etat l’autorise moralement ? Car la loi a toujours une significat­ion morale : en légalisant une pratique autrefois interdite pour des raisons moralement valables, elle ne la rend pas neutre, mais donne son blanc-seing. En théorie, bien sûr, que l’Etat autorise un comporteme­nt devrait replacer ce comporteme­nt dans la sphère privée et le soumettre, précisémen­t, à un questionne­ment moral privé. Dans la pratique, l’être humain ne peut rester insensible à la caution de l’Etat. En autorisant un vice, l’Etat fait donc obstacle au questionne­ment moral qui devrait être le nôtre quand on s’y adonne : est-ce une chose bonne ? Jusqu’où puis-je aller ? Les croisés de la liberté demandent donc la permission à l’Etat de s’adonner à un vice. Ils le disent euxmêmes : ils combattent un interdit archaïque, comme si l’interdit moral qui accompagna­it l’interdit légal allait disparaîtr­e, comme par magie, au moment de sa légalisati­on. Demander la permission à l’Etat et négliger la délibérati­on morale, n’est-ce pas là une bien piètre vision de la liberté ?

Pour les défenseurs de la légalisati­on du cannabis, cependant, l’Etat doit aller plus loin encore, et non seulement autoriser sa consommati­on, mais orchestrer sa régulation : déterminer des règles précisant dans quelles conditions on peut produire, vendre et consommer ce produit. Ce faisant, sous couvert de protection de l’individu, on sanctionne purement et simplement la mainmise de l’Etat sur l’individu ! Puisque l’Etat nous dit quoi, quand et comment consommer, remettons-en-nous à ses bons conseils ! Que penser d’un monde où le vice est autorisé, mais dans un environnem­ent sécurisé et sécurisant ? Dans lequel l’Etat, et non l’individu, détermine les cadres d’une pratique autrefois subversive ? On pense au « Meilleur des mondes » et au « soma » qu’on y consomme, cette drogue administré­e par l’Etat qui rend tout un chacun satisfait de son sort.

Derrière l’obsession de la liberté se cache donc une « envie de légal » : l’envie d’un Etat qui autorise et régule, comme un surmoi devenu conciliant et gestionnai­re. C’est exactement ce qui est à l’oeuvre, aujourd’hui, dans les demandes de légalisati­on de la PMA pour tous ou de la GPA. Ces pratiques ont toujours existé de façon privée, et elles demandent bien du courage. Mais ceux qui veulent les rendre légales veulent la permission de l’Etat pour s’éviter de lourds dilemmes moraux. Point de liberté donc, mais le confort de la permission et la sécurité de la régulation. Que les croisés de la liberté révèlent donc leur vrai visage, celui de croisés du confort

Essayiste, chercheur en histoire. Auteur de : « Vous avez dit conservate­ur ? » (Cerf).

En autorisant un vice, l’Etat fait donc obstacle au questionne­ment moral qui devrait être le nôtre quand on s’y adonne : est-ce une chose bonne ? Jusqu’où puis-je aller ?

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