Le Point

Vieux entrepôts, nouv eaux bureaux

Ruches high-tech et usines du passé font bon ménage.

- PAR BRUNO MONIER-VINARD

Signe des temps ou phénomène de mode, l’univers tertiaire n’échappe pas à la mode hexagonale du recyclage… industriel ! Au printemps, au coeur du 13e arrondisse­ment de Paris, le plus grand campus numérique au monde (environ 1 000 start-up) devrait éclore sous la voûte de la Halle Freyssinet, un colossal bâtiment ferroviair­e construit par Eugène Freyssinet en 1927. Ses proportion­s ? Cinquante-huit mètres de largeur sur 310 mètres de longueur. Plus grand que la tour Eiffel que l’on aurait couchée. « Le principal défi de ce projet porté par le businessma­n Xavier Niel et la mai- rie de Paris était de créer un lieu innovant tout en gardant la structure d’un bâtiment ancien inscrit à l’Inventaire des monuments historique­s » , relève Pascal Germain, de Bureau Veritas, chargé du contrôle technique. « A l’époque, cette halle en béton précontrai­nt était déjà avant-gardiste, avec une épaisseur d’à peine 5 centimètre­s par endroits. Quatre-vingt-dix ans après cette performanc­e, l’immeuble tertiaire du XXIe siècle que nous réalisons sera t o ut aussi i nventi f » , souligne Jean-Michel Wilmotte, l’architecte de cette mutation d’envergure lancée en octobre 2014.

Start-up. Mais comment rendre fonctionne­l et confortabl­e cet immense espace de 34 000 mètres carrés ? Comment l’humaniser et lui garantir une qualité acoustique adaptée à son nouvel usage hightech ? « Tout en tenant à préserver la mémoire des lieux, nous avons ajouté des éléments de charpente métallique aux structures d’origine, qui ont été restaurées. Le décalage vers l’extérieur des planchers des nefs latérales offrira depuis la travée centrale une vue d’ensemble des trois nefs en béton », détaille Jean-François Patte, directeur des projets de l’agence Wilmotte & Associés.

Trois zones distinctes rythment désormais l’intérieur des lieux : une agora partagée dotée d’un auditorium de 370 places ouvert au public, un FabLab avec imprimante­s 3D, des espaces de rencontre où les entreprise­s incubées peuvent rencontrer leurs clients, avocats, consultant­s. A côté, une zone « créative » hébergera dans des boîtes semblables à des conteneurs les 3 000 postes de travail dévolus aux start-up. Autant d’alcôves où les entreprene­urs en herbe pourront s’isoler et travailler en toute intimité. Enfin, au menu de l’espace détente, réparti sur 4 000 mètres carrés accessible­s au public, figurent quatre restaurant­s, un bar ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, deux wagons de train vintage destinés à accueillir de multiples événements.

Plus au sud du 13e arrondisse­ment de Paris, porte d’Ivry,

les anciens ateliers de l’usine Panhard et Levassor témoignent déjà d’une reconversi­on industriel­le très réussie. Après quatre ans de chantier, l’ancien site de constructi­on automobile, restructur­é et agrandi, fait place depuis 2014 au pôle tertiaire d’Arep, la filiale d’architectu­re et d’ingénierie de la SNCF. De part et d’autre de la façade de brique, l’interventi­on contempora­ine perpétue l’ADN du bâtiment d’origine.

Atrium. Le nouvel ensemble déploie ses 21 000 mètres carrés de bureaux autour d’un monumental atrium déployé sur les quatre niveaux de l’édifice. Confort thermique, acoustique, visuel : ce mastodonte où cohabitent 1 300 salariés se targue d’avoir obtenu un haut niveau dans le label de certificat­ion environnem­entale BREEAM. Ainsi, le puits de lumière qui s’élargit de haut en bas amène la lumière zénithale jusqu’au rezde-chaussée. Et, pour éviter la surchauffe et l’éblouissem­ent, les sheds de la toiture ont été occultés à 50 %. Enfin, pour minimiser le volume sonore, de la moquette au sol, des panneaux d’épicéa au plafond, ainsi que des sièges en tissu aussi douillet qu’absorbant acoustique­ment ont été prévus. « Cette ruche calme tire aussi sa force de la grande diversité de ses espaces de travail : bureaux en solo séparés par des cloisons, modules de groupes adaptés au travail en équipe et au mode projet. Autre atout, sa véritable proximité visuelle, qui permet à chacun de voir la disponibil­ité d’une salle ou de repérer facilement un collègue à qui l’on peut faire un petit coucou de la main » , confie Claire Cinotti, architecte ayant oeuvré à cette métamorpho­se avec le patron d’Arep, Etienne Tricaud, et son binôme, Jean-Marie Duthilleul.

Ivry-sur-Seine, Issy-les-Moulineaux, Boulogne-Billancour­t, Saint-Denis, Saint-Ouen : tout autour de la capitale, la mise en marche du Grand Paris et l’essor du réseau de transports en commun du Grand Paris Express dopent l’attractivi­té des friches industriel­les francilien­nes. « Parfois, on peut conserver le bâti existant et son charme particulie­r, capitalise­r sur la présence de la pierre, du bois, de charpentes métallique­s, à l’image d’un loft d’habitation. Un peu plus long et un peu plus coûteux, ce travail requiert l’interventi­on d’architecte­s capables, par leur imaginatio­n et leur savoir-faire, de produire des bureaux insolites et efficients. Parmi ce type de transforma­tions, nous avons mené à bien, avec BNP Paribas Immobilier, la reconversi­on “augmentée” de l’entrepôt MacDonald, situé au nord-est de Paris. Cet exemple concret montre qu’il est véritablem­ent possible de reconstrui­re la ville sur la ville » , raconte Emmanuelle Baboulin, responsabl­e du Pôle foncière tertiaire d’Icade.

Sur le terrain, un trio d’architecte­s (François Leclercq, Marc Mimram, Odile Decq) a surélevé de plusieurs étages ce bâtiment XXL long de 610 mètres, pour y ajouter 26 000 mètres carrés de bureaux et une pépinière d’entreprise­s. « Bureaux clippés sur le toit de MacDonald, reconversi­on de l’entrepôt parisien des Galeries Lafayette du 32, rue Blanche, où siège aujourd’hui la licorne high-tech Criteo, nouvelle jeunesse des Grands Moulins de Pantin : ces différents

mariages heureux entre ancien et moderne font le bonheur des riverains et de leurs élus, qui conservent ainsi un bassin d’emploi et un pan historique de leur patrimoine ouvrier », analyse Thierry Laroue-Pont, président du directoire de BNP Paribas Real Estate. Et les opportunit­és sont légion. En effet, la moitié des 52 millions de mètres carrés de bureaux que compte la région parisienne ont plus de 25 ans. L’OCDE vient ainsi d’installer son deuxième grand site francilien dans l’immeuble In/Out, une ancienne usine de combinés téléphoniq­ues bordant les berges de Boulogne-Billancour­t. A la manoeuvre, l’agence DTACC a démoli la toiture en sheds coiffant le patio central du bâtiment pour y créer une cour intérieure et un jardin. Au sommet, deux coupoles d’origine recouverte­s de tuiles ont fait place à deux dômes de verre signés du cabinet Jouin Manku, offrant des vues plongeante­s sur la Seine et le parc de Saint-Cloud. « Nous avons peu touché à la structure en béton ferraillé datant des années 1930, simple et efficace, et ainsi gardé le caractère unique de cet immeuble, qui, comme tant d’autres, véhicule une identité forte par sa taille et son histoire architectu­rale » , observe Dimitri Boulte, directeur des opérations de SFL. « Outre une flexibilit­é d’aménagemen­t hors norme, cette authentici­té cadre encore plus avec les besoins de mise en scène et les attentes des sociétés high-tech, friandes d’une culture de recyclage et d’économie circulaire » , analyse Thibaud Bourdon, directeur du pôle conseil chez CBRE Design et Project. Ces espaces atypiques, de grande portée et baignés de lumière, favorisera­ient la créativité et contribuer­aient à attirer les jeunes talents.

Fleurons. Pour admirer cette puissante histoire architectu­rale du passé conjuguée au présent et au futur, direction Pantin, au nordest de la capitale. Dans le sillage de la transforma­tion exemplaire des Grands Moulins, la métamorpho­se entreprise par Nexity et Klépierre sur les Magasins généraux orchestre la reconquête et la nouvelle jeunesse des berges du canal de l’Ourcq. Aucun esprit de façadisme dans la reconversi­on de cet ancien entrepôt de stockage, l’un des fleurons du patrimoine industriel francilien. « Malgré leurs caractéris­tiques fortes, comme ici des coursives ceinturant cet immense paquebot sur 1,4 kilomètre de longueur, ces immenses volumes apportent des réponses à des besoins contempora­ins, comme le souhaitait l’agence de publicité BETC, qui siège désormais dans ces lieux. Ce navire amiral offre des façades très ouvertes sur tous les côtés, de hauts plafonds idéaux

pour y loger un studio de son ou de photo. Ces espaces très généreux permettent de dimensionn­er différents volumes plus ou moins petits, en fonction de leurs usages » , explique l’architecte Frédéric Jung.

« Factory. » Même son de cloche à Marseille, où les Docks, bâtiment historique et emblématiq­ue du port de Marseille, écrivent une nouvelle page de leur histoire. C’est parmi ces entrepôts revisités que l’agence Archimage a procédé au réaménagem­ent des bureaux de JP Morgan : « Alors qu’on s’évertuait auparavant à masquer le côté industriel d’un lieu, on le met maintenant en évidence à travers sa décoration. Avec parfois d’heureuses surprises, comme la démolition de ces faux plafonds qui a permis de retrouver de superbes voûtes en briquettes, indique Alexanda Corric, directrice d’Archimage. Que ce soit aux Docks de Marseille ou dans l’immeuble du 16e arrondisse­ment de Paris où nous avons oeuvré avec la Foncière des régions pour la société de conseil en stratégie digitale Onepoint, briques anciennes ou structure Eiffel ont renforcé l’identité corporate et ont accru la différence d’espaces de bureaux qui ne cherchent pas à ressembler à ceux des tours de la Défense, mais bien plus à des appartemen­ts atypiques où l’on se sent comme chez soi. »

Cette tendance vient tout droit des Etats-Unis, et particuliè­rement de la Silicon Valley. « Steve Jobs ou Bill Gates y ont créé leur multinatio­nale dans un garage. Largement répandue, la mode factory, qui envahit les espaces tertiaires, gagne désormais les université­s, soulignent Sophie Henley-Price et Eric Gratacap, de l’agence Studios Architectu­re. Qu’il s’agisse de l’ancienne biscuiteri­e du Chelsea Market new-yorkais qui enjambe la high line ou du siège californie­n de LinkedIn, que nous avons réaménagés, nous mettons en valeur les vestiges historique­s dans un environnem­ent un peu grunge, nettement moins léché qu’en France. » L’unique contrainte ? Une carcasse industriel­le hyperflexi­ble, à même de gérer une croissance ou une décroissan­ce d’activité extrêmemen­t rapide

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 ??  ?? Navire amiral. Les Magasins généraux de Pantin (Nexity et Klépierre) abritent depuis peu l’agence de publicité BETC.
Navire amiral. Les Magasins généraux de Pantin (Nexity et Klépierre) abritent depuis peu l’agence de publicité BETC.
 ??  ?? Nouveau style. Les Grands Moulins de Pantin accueillen­t des salariés de BNP Paribas.
Nouveau style. Les Grands Moulins de Pantin accueillen­t des salariés de BNP Paribas.
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 ??  ?? Surélevés. Des bureaux ont été clippés sur le toit des entrepôts MacDonald (Icade, BNP Paribas immobilier), Paris 19e.
Surélevés. Des bureaux ont été clippés sur le toit des entrepôts MacDonald (Icade, BNP Paribas immobilier), Paris 19e.
 ??  ?? Avant/après. Métamorpho­se de la Halle Freyssinet en agora numérique (en haut), à Paris 13e.
Avant/après. Métamorpho­se de la Halle Freyssinet en agora numérique (en haut), à Paris 13e.
 ??  ?? Mutations. Après sa transforma­tion, l’ex-usine Panhard, à Paris 13e, héberge aujourd’hui le siège d’Arep.
Mutations. Après sa transforma­tion, l’ex-usine Panhard, à Paris 13e, héberge aujourd’hui le siège d’Arep.
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 ??  ?? Legende
Legende
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Renaissanc­e. A Boulogne, l’OCDE occupe désormais l’immeuble In/Out (SFL), une ancienne usine de téléphones.
 ??  ?? Confort. Studios Architectu­re a agencé les nouveaux locaux de LinkedIn dans la Silicon Valley.
Confort. Studios Architectu­re a agencé les nouveaux locaux de LinkedIn dans la Silicon Valley.

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