Gaël Tchakaloff, une « punk » dans la campagne
Intime. La journaliste Gaël Tchakaloff s’est faufilée dans les coulisses de la présidentielle. Récit ébouriffant.
Elle les appelle Emmanuel, Alain, Jean-Luc… Elle a banni les noms propres, mais le sien apparaît à onze reprises. Gaël Tchakaloff n’a pas changé. Dans « Divine comédie » (Flammarion), la fantasque journaliste apparaît toujours aussi autocentrée et dévorante que dans son précédent ouvrage consacré à Juppé. Mais, cette fois, ce sont tous les candidats ou presque qu’elle a décidé d’assiéger, admettant volontiers son manque d’intérêt pour Hamon ou son échec à obtenir quoi que ce soit de Fillon, dont elle qualifie la rentrée politique «d’usine à gaz, tendance stage aux Glénans organisé par le Club Méditerranée» . Alors, certes, elle se raconte – beaucoup –, ses impressions, ses peines, se met en scène pleurant après une réflexion un peu sèche de Mélenchon, consolant toute la famille Juppé le soir de la défaite à la primaire.
Certains jugeront le procédé agaçant, mais gageons qu’ils ne refermeront pas le livre. Car, à force de coller aux basques de ces politiques, de les étouffer, de parler d’elle pour mieux les faire parler d’eux, Tchakaloff les saisit. « Ensevelie sous la campagne, ivre des candidats, je n’écoute rien d’autre qu’eux » , écrit-elle. C’est exact, et sans doute pour cela qu’ils se sont tant confiés
EXTRAITS
Macron et les cyniques Un jour, dans le train, nous sommes assis côte à côte, Emmanuel développe sur Alain, l’erreur pour lui a été de se lier avec le centre. Il ne faut jamais se lier avec ce que l’on incarne, il ne faut jamais acheter ce que l’on a déjà. Une autre fois, au cours d’un voyage, tandis que nous ne sommes que tous les deux, savoir après quoi je cours, c’est une réponse qui se tresse au fil de l’eau. Pour moi, la politique, c’est créer, créer les formes de liberté première. (…) Lors d’une conversation privée, Emmanuel précise, j’ai toujours été passionné par la
politique (…). Mais je n’ai jamais aimé la société politique. Ce ne sont pas les gens les plus intéressants. Il y a beaucoup de médiocrité, beaucoup de cynisme chez eux.
Marine, Jean-Marie et Marion Quand Marine avait 20 ans, la politique importait peu, seule comptait la défense de son père. A plusieurs reprises, pendant la soirée, elle martèle : Le Pen était beaucoup moins caricatural que l’image qu’il véhiculait. Je pense qu’il a été tellement blessé de la caricature que l’on a faite de lui et tellement découragé que, par provocation, il est devenu cette caricature. (…) Les homosexuels, tout cela, il n’en avait rien à faire. Il était libertaire. (…) Du coup, on avait un amour craintif à son égard. Quand il allait sur un plateau, on se disait « pourvu que ça passe »… Elle marque un temps d’arrêt, tire sur sa cigarette électronique à plusieurs reprises. (…) Je pense qu’au fond de lui Le Pen se dit peut-être, Marine a fait un truc de fou… Mais je n’en tire aucune fierté. Cela reste une blessure très profonde. Je me suis toujours battue pour lui, je l’ai toujours défendu, y compris sur l’indéfendable, sans réserve. Je n’ai jamais été avec Le Pen comme Marion est avec moi. Mine de rien, Madame met les points sur les « i ».
Le livre sexy de Hollande Nous sommes à quelques jours de la sortie du livre « “Un président ne devrait pas dire ça…” » Interprétation de Gaspard [Gantzer, NDLR] : François Hollande, il n’a pas lu le livre. Ce qui l’a vraiment embêté, c’est l’histoire des magistrats. Pendant quarante-huit heures, il ne m’a parlé que de ça. En ce qui concerne les terroristes, [l’ordre de les tuer, NDLR], les Français adorent, c’est là que les médias se plantent. Moi, plus le temps passe, plus je trouve le bouquin génial. Quel est l’homme politique qui peut avoir le cran et la conscience tranquille pour passer soixante entretiens ? Il y a une part de jeu. Je crois que ce livre va devenir un objet sexy et contre-culture. Le truc chic, c’est de le trouver formidable. Mais bien sûr.
Le Maire en « pure perte » Nous roulons vers Pacy-sur-Eure. (…) Bruno va se livrer dans une profondeur que je n’ai pas souvent rencontrée avec d’autres hommes politiques. Kilomètre 25. La politique, ça écrase tout le reste de la vie (…). Si je perds, j’aurai dilapidé tout ce temps, sans ma femme, sans mes enfants, en pure perte. Pas de bol, on connaît la fin du film. (…) Kilomètre 50. La politique, ça attire les névrotiques. On l’est tous. Ce n’est pas la politique qui rend névrotique, on l’est avant, on s’y retrouve. Les deux névroses les plus courantes en politique, c’est le narcissisme, évidemment, et la haine de soi. Le pouvoir, c’est la guérison de la haine de soi. (…) Voilà. Je l’ai aimé. Et puis je l’ai désaimé, Bruno. A quelques jours du premier tour de la primaire de la droite et du centre, il a téléphoné à Alain Juppé pour l’informer de sa décision de le rallier. Si ce n’est que, cinq minutes après l’annonce des résultats du 20 novembre, il a officialisé son ralliement à François Fillon..
Les sens en alerte de Mélenchon Un détail amusant, vous n’aimez pas toucher les autres, vous ne raffolez pas non plus d’être tripoté. Pas très judicieux dans une campagne électorale. Justification. Je me suis en partie construit autour de la surdité. Les gens qui entendent mal doivent toujours vérifier, voir. J’essaie de maîtriser mon environnement, sauf que je le ressens un peu moins que vous, voilà tout. Ce qui est nouveau par rapport à 2012, c’est la limite physique que je sens aujourd’hui. « Mes p’tits chéris » [NDLR : son équipe] se relaient. Moi, personne ne me relaie jamais. Je ne me reconstruis qu’en rêvassant.
Juppé après le choc Lorsque je demande à Laurent [le fils d’Alain Juppé, NDLR] dans quel état se trouve son père, il me répond mal, très très mal, avant que Christine me souffle le plus dur, c’est la conscience d’un monde qui bascule vers le conservatisme. Moi, je vois plus petit, plus étroit. (…) Au sein de l’équipe de campagne, les deux hommes les plus proches d’Alain lui conseillent de se retirer dès le soir du premier tour. Je ne l’oublierai jamais. Parce que la bienveillance de leur objectif n’est pas tout à fait établie. L’un de ces deux-là approche d’ailleurs le cercle de François Fillon quelques heures plus tard, étale tout le bien qu’il pense de cet adversaire, formule les plus vives critiques à l’égard de la nouvelle posture d’Alain
« Je n’ai jamais été avec [Jean-Marie] Le Pen comme Marion est avec moi. » Marine Le Pen