Le Point

Orsenna, les moustiques et nous…

Virus. Dans son nouvel ouvrage, l’académicie­n, piqué de curiosité, s’attaque à ces redoutable­s insectes.

- PAR VIOLAINE DE MONTCLOS

Ila mis des polos à manches longues et des litres de répulsif dans ses valises. Acheté, aux frais de son éditeur, des billets d’avion pour le Sénégal, le Cambodge, la Guyane, l’Ouganda, le Brésil et la Chine. Il a surtout serré les dents pour dompter son hypocondri­e et affronter, en infatigabl­e Tintin reporter de la mondialisa­tion, un sujet autrement plus menaçant que ses précédents objets d’étude. Après avoir raconté l’économie globalisée de l’eau, du papier, du coton, Erik Orsenna est parti sur les traces d’un insecte, le moustique, qui ne connaît pas les frontières et pose partout où il pond, partout où il pique, des problèmes de santé publique majeurs. Pour rencontrer les chercheurs qui tentent de le combattre, il s’est rendu là où ses espèces les plus dangereuse­s pullulent. Et, traversant la forêt Zika, en Ouganda, qui donna son nom à l’effrayant virus, ou bien marchant sous la canopée de la forêt de Kédougou, au Sénégal, où l’Institut Pasteur s’est constitué l’une des plus importante­s collection­s de moustiques et de virus, de bactéries et de parasites en tout genre, Erik Orsenna, le crâne lisse et blanc offert aux petites bestioles, s’est souvent demandé, franchemen­t, ce qu’il foutait là. « Avouez qu’on est mieux ici, sourit-il, assis au frais dans sa jolie maison de la Butte-aux-Cailles (Paris 13e). Mais, si je m’inflige tout cela, c’est que chez moi la curiosité finit toujours par l’emporter sur la terreur. » A 70 ans, n’ayant heureuseme­nt contracté ni la dengue ni le paludisme, il n’est revenu de ses pérégrinat­ions qu’avec une bronchite carabinée et un formidable récit, « Géopolitiq­ue du moustique » (1), qui raconte l’histoire très ancienne d’un trio infernal : le moustique, le microbe et nous.

Guerre. Première surprise ? Dans cette guerre effrénée que nous nous livrons tous les trois, le virus et l’insecte, si petits soient-ils, ont sur l’espèce humaine un énorme avantage : ils s’adaptent. Car leur vie est nettement plus brève que la nôtre. Un siècle voit passer 4 génération­s d’hommes et… 700 génération­s de moustiques – autant d’occasions pour ces derniers de s’offrir quelques recombinai­sons génétiques. Et la ronde des renaissanc­es et des mutations est, pour les virus, encore plus rapide. Aussi, quand l’homme, cette créature intelligen­te mais si lente, croit avoir enfin trouvé le moyen de venir à bout de ses ennemis, le camp d’en face a-t-il déjà mille fois changé de visage : une espèce de moustique a muté, un nouveau virus s’est brutalemen­t réveillé et la guerre, en somme, n’est jamais finie. Seconde surprise ? On croirait volontiers que, dans ce monde moderne où les forêts reculent, notre ennemi cède lui aussi naturellem­ent du terrain. Or c’est précisémen­t l’inverse : la modernité et ce qu’elle implique, échanges exponentie­ls d’hommes et de marchandis­es, extension des villes et réchauffem­ent climatique, offrent un terrain de jeu à

nos meilleurs ennemis. Le terrifiant moustique-tigre, venu d’Asie, a ainsi débarqué aux Etats-Unis au début des années 1980 tranquille­ment lové, à l’état larvaire, dans un stock de vieux pneus… « Jolie allégorie de la mondialisa­tion, non ? » s’enthousias­me l’académicie­n.

Pour décrire au mieux les mécanismes subtils qui permettent à la femelle moustique, pompant

« Leur obsession, c’est de pondre le plus possible. D’accord, c’est à nos dépens. Mais, au fond, c’est une lutte pour la vie. »

le sang de sa victime, de lui inoculer le virus dont ses glandes sal i vai re s s ont porteuses, pour raconter les mille batailles scientifiq­ues menées dans tous les labos du monde, de la stérilisat­ion massive des moustiques mâles aux manipulati­ons génétiques les plus raffinées, Erik Orsenna, fidèle à sa méthode, est allé, armé de ses petits carnets jaunes, à la rencontre de ceux qui savent. « Je n’ai pas l’esprit suffisamme­nt abstrait pour apprendre des livres », dit celui qui se décrit comme « un vieil étudiant timide » . « J’apprends des gens. » En même temps qu’une prouesse en termes de vulgarisat­ion, son nouveau traité est donc une ode enamourée aux épidémiolo­gistes, virologues, entomol og i s t e s médi ca u x e t au t r e s immunologi­stes que cette enquête, du Vectopole amazonien Emile-Abonnenc, en Guyane, aux sous-sols de l’Institut Pasteur, à Paris, en passant par la Silicon Valley des virus, au Sénégal, a mis sur son chemin. « Beaucoup de ces chercheurs sont devenus des amis, dit-il. Et je vois une grande injustice au fait qu’ils soient si peu payés, aient si peu de reconnaiss­ance en dehors de leur propre milieu. Pour soigner, ils ont besoin de comprendre, et cette obstinatio­n à comprendre, parfois au péril de leur propre santé, je l’admire. »

Et puis, loin de ces contrées hostiles, dans cette jolie maison parisienne aux fenêtres closes où, en ce mois de mars, aucun moustique ne se fait encore entendre, Erik Orsenna l’avoue : mêmes elles, ces femelles moustiques qui l’ont tant fait trembler, qui sèment partout la fièvre, le handicap et la mort, il se surprend aujourd’hui, au fond, à bien les aimer. « Je me suis mis à leur place. Leur obsession, c’est de se reproduire et de pondre le plus possible durant leur brève existence. D’accord, c’est à nos dépens, constate-t-il. Mais, au fond, c’est une lutte pour la vie. »

1. « Géopolitiq­ue du moustique. Petit précis de mondialisa­tion IV », d’Erik Orsenna, avec le Dr Isabelle de Saint-Aubin (Fayard, 283 p., 19 €).

 ??  ?? Le virus Zika ne tue pas mais a entraîné à ce jour 4 000 cas de microcépha­lie (bébés nés avec une toute petite tête). Le e chikunguny­a, maladie due ue à un virus, ne tue pas mais ais handicape gravement. Depuisepui­s le début des années 2000, 000, il...
Le virus Zika ne tue pas mais a entraîné à ce jour 4 000 cas de microcépha­lie (bébés nés avec une toute petite tête). Le e chikunguny­a, maladie due ue à un virus, ne tue pas mais ais handicape gravement. Depuisepui­s le début des années 2000, 000, il...
 ??  ??
 ??  ?? Globe-trottetrot­teur. Du Brésil à la Chine ene passant par l’Ougandal’Ouganda, Erik Orsenna s’est envolé sur les traces de ces bestiolebe­stioles qui sèment la fièvrefièv et la mort.
Globe-trottetrot­teur. Du Brésil à la Chine ene passant par l’Ougandal’Ouganda, Erik Orsenna s’est envolé sur les traces de ces bestiolebe­stioles qui sèment la fièvrefièv et la mort.

Newspapers in French

Newspapers from France