Qu’est-ce qui nous fait courir ?
Déferlante. Dépassement de soi, envie de bien-être, de partage… Du tour du pâté de maisons aux courses d’ultra-endurance, la course à pied modèle notre vie.
Ils sont partout. On les croise sur le macadam de nos cités, dans les plaines sablonneuses, les prairies bucoliques, des premières lueurs de l’aube à la tombée de la nuit, seuls ou en groupe, l’allure aérienne, le dos courbé sous le poids du sac à dos ou cheminant équipés d’une poussette running. Ce n’est plus une mode mais un véritable raz de marée. Début 2016, une enquête réalisée par l’agence Sportlab pour la Fédération française d’athlétisme annonçait 12 millions de coureurs, soit un Français sur quatre. Bien que ce chiffre doive être nuancé – un quart des sondés courent occasionnellement –, il suffit de regarder autour de soi pour constater l’ampleur du phénomène. Dans les années 1970, ceux qui couraient en short et torse nu étaient considérés au mieux pour des cinglés, au pis pour des pervers. Une génération plus tard, arpenter les rues de manière conquérante ne gêne plus personne.
La déferlante running s’est déroulée en deux vagues successives. La première date des années 1970-1980. Elle est le fruit de deux tendances qui se sont combinées : celle des free runners, sportifs accomplis mais rebelles qui ont quitté les stades pour organiser leur course, et celle du jogging, sport de loisirs, pratiqué au seuil aérobie, c’est-à-dire sans s’essouffler, qui attire notables, femmes au foyer, salariés de la classe moyenne pour ses bienfaits contre les troubles cardio-vasculaires, puis comme remède antistress, antiâge, antioxydant et facteur de bienêtre. Lors de la seconde phase, dans les années 2000, le nombre de pratiquants explose, les manifestations se multiplient et se diversifient. En 2015, pas moins de 6 000 courses ont été organisées en France, soit plus de 100 par weekend. A côté des grosses machines commerciales (Marathon de Paris), on peut participer au choix : à la course Les Gendarmes et les voleurs de temps, au Cul d’enfer, à La Frappadingue, à la 6000D ou encore à L’Ardéchois. Les épreuves se déclinent sur toutes les distances et niveaux, du 5-kilomètres au marathon (42,5 km) ou aux courses d’ultrafond (100 km, ultratrail). A la variété des distances se combinent celles des épreuves et des terrains : aux classiques courses sur route sont venus se greffer les trails sur terrain technique, en nature ou en ville, les courses d’orientation, les courses par étapes, les courses de nuit, dans la boue, dans la neige, le sable, la jungle, la glace, les défis sur tapis mécanique ou les épreuves du kilomètre vertical du Mont-Blanc ou de la tour Eiffel. Certaines courses sont dites « mythiques » : UltraTrail du Mont-Blanc, Diagonale des fous, Marathon de New York. Toutes racontent des histoires légendaires, incorporées dans la mémoire collective, répétées et transformées, qui tendent à fonder une origine des choses et à l’aide desquelles chaque société essaie de comprendre son fonctionnement.
Courir est non seulement dans l’air du temps, mais c’est un phénomène qui a généré une industrie florissante : aux chaussures luxueuses pensées par des champions – avec lesquelles on se demande si on va réussir à enchaîner deux foulées – s’est ajouté un arsenal