Le Point

Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy

De quoi Macron est-il le oui ?

- De Bernard-Henri Lévy

Quand je pense à Emmanuel Macron, je pense à sa jeunesse. Et me viennent à l’esprit deux images. Celle de Kennedy selon Norman Mailer, dans son article fameux de Esquire, paru trois semaines avant l’élection : mystérieux, lui aussi… sous les radars de son époque… et un événement, disait-il, moins politique qu’existentie­l car faisant renouer l’Amérique avec son aristocrat­ie secrète…

Et puis celle d’Alcibiade, l’encore plus jeune général et homme d’Etat athénien du Ve siècle dont le désir brûlait d’un feu si intense qu’il pouvait, racontait Platon, accoucher du pire comme du meilleur – les reniements les plus improbable­s non moins que, s’il écoutait la voix de la « vertu », les accompliss­ements les plus nobles… Emmanuel Macron en est là. D’un côté, ce parfum d’aventure personnell­e ; ce mouvement dont le slogan (En Marche !) fut greffé sur ses initiales (EM) ; cette ferveur un rien vitaliste ; ce retour du romanesque en politique avec sa part d’excès possible et d’hubris ; cet art de n’être pas grand-père et ce congé, trop « jeuniste », donné à la vieille politique ; et tant pis pour les chênes qu’on abat ; et tant pis si tant de passion désirante donne parfois l’impression de verser dans la néomanie, c’est-à-dire dans la certitude trop simple qu’avancer pour avancer vaut mieux que demeurer là où l’on est.

Et puis, de l’autre, ce maître qui, comme Alcibiade, l’attend au tournant de sa longue marche pour, le moment venu, lui demander compte de sa flamme : ce ne sera pas Socrate qui, cette fois, le fera comparaîtr­e mais le peuple ; et la question qui lui sera posée lors de l’élection puis, s’il gagne, au premier jour de son jeune règne sera moins de savoir s’il « connaît la vertu » que s’il a une autre raison d’être là que, comme tant d’autres, l’ambition, la persévéran­ce dans son être, la volonté de vengeance ou de néant – toutes ces versions, au fond, d’une seule et même politique fantôme…

On peut, en d’autres termes, s’égosiller à demander s’il a, ou non, « un programme » (ce qui n’empêche pas les mêmes de piller, soir et matin, son supposé non-programme).

S’il est, comme cela se dit, le clone de François Hollande, son fils caché, son projet secret, le Christian d’un Cyrano élyséen lui soufflant ses répliques, une mère porteuse d’un nouveau genre assurant la gestation pour autrui d’une idée ourdie par un père empêché (pour moi, hélas, il est plutôt Brutus). On peut se demander s’il est trop seul ou trop encombré. S’il manque de soutiens ou s’il a tort de refuser du monde. S’il aura, élu, une majorité de gouverneme­nt ou si les vainqueurs de mai ne sont pas, déjà, les défaits de juin.

On peut hurler – là, on est proche de l’ignominie et on tombe de Péguy en Aubry – qu’il n’aime pas les gens mais l’argent et lui demander lourdement de décliner l’identité de ses « gros donateurs ». Aucune de ces questions n’est décisive. Car toutes participen­t de ce paradoxe qui semble avoir été réinventé pour lui vingt-cinq siècles après qu’un autre Grec, Zénon d’Elée, prétendit démontrer qu’Achille, quoi qu’il arrive, ne rattrapera jamais la tortue : ici, Zénon a commencé par prédire qu’Achille-Macron ne se mettrait pas en mouvement ; puis que, s’il le faisait, la primaire de la droite serait son tombeau ; puis, que ce serait la primaire de la gauche qui fermerait de marbre et de plomb le sépulcre ; puis que Bayrou, quand il irait, lui grappiller­ait de précieux points ; puis que le Béarnais, rallié, allait le ringardise­r ; bref, nos Zénon anti-Macron n’en finissent pas de constater, depuis le tout premier instant, la fissure dans l’édifice, la cendre sous la gloire, l’incendie qui couve ; c’est un étrange tour de l’esprit de nos experts en élection qui fait dire de chacune de ses batailles gagnées qu’elle l’éloigne un peu plus, et irrémédiab­lement, de la victoire finale ; mais tout cela n’a guère d’importance ; car, les choses étant ce qu’elles sont et ce démiurge de soi ayant, étape après étape, déjoué tous les pronostics des faux sagaces, la seule question qui compte est de savoir ce qu’il dira au maître, c’est-à-dire, je le répète, au peuple lorsqu’il paraîtra devant lui.

Ira-t-il au bout de sa volonté affichée de franchir les Rubicon idéologiqu­es ?

Saura-t-il cueillir en un bouquet, comme il n’a cessé de le répéter, les roses et résédas de nos croyances ?

Que fera-t-il de ce carrousel de paroles mortes, thrombosée­s par les vieux partis qui sont tous, aujourd’hui, de grands cadavres à la renverse ?

Puisque, comme les abeilles de Montaigne, il prend partout thym et marjolaine, se contentera-t-il d’en faire son miel ou sera-ce le creuset d’une parole neuve ?

Et ce quadrille des ralliement­s, ce supplice lent infligé aux grandes formations, transforme­nt-ils juste En Marche ! en Arche de Noé pour éléphants de gauche, dinosaures de droite et chevaux de retour de toutes tendances venant se sauver du déluge – ou est-ce le prélude d’une recomposit­ion réelle ?

Et cette façon de tenir un point de vue et son contraire – droite et gauche, France et Europe ou, en Algérie, patriotism­e et repentance : calcul ? indécision ? ou signe d’une volonté nouvelle de casser la grille « décisionni­ste » ami-ennemi qui reste le venin secret de la République dite Cinquième et la met si souvent au bord de la guerre civile ? Carl Schmitt ou Benjamin Constant, il faut choisir. Le Grece ou les Gracques – et le vrai moyen de sortir, par le haut, du populisme : telle est la question.

Je préfère Emmanuel Macron parce que je ne connais pas, compte tenu de l’offre politique disponible, de meilleur moyen d’écarter ceux qui, dans la hargne ou l’amertume, naufragent la République ou ajournent le moment du sursaut

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