Fillon, l’héritier caché de Falloux
Un fil séculaire relie l’homme de la Sarthe à l’un de ses lointains prédécesseurs, Alfred de Falloux.
«N ous n’avons pas voulu fermer une porte à l’abus sans ouvrir deux portes au travail. » Autrement dit, cesser une dépense sociale écrasante, inutile et dangereuse et insérer ses bénéficiaires dans la société par l’activité économique et l’emploi en neutralisant sa capacité de désordre. Ce pourrait être François Fillon aujourd’hui en campagne ; c’était, le 30 mai 1848 à l’Assemblée nationale, le député Falloux rapportant le projet de dissolution des coûteux Ateliers nationaux créés par les révolutionnaires de février. Le comte Alfred n’eut qu’une fille, mais le candidat des Républicains peut faire figure de lointain descendant. En effet, avec la prudence que requièrent l’art délicat de la généalogie politique et l’éloignement chronologique, il est possible de trouver un fil séculaire reliant les deux personnalités par des caractéristiques apparentées. A commencer par l’enracinement dans la même région de bocages et d’élevage bovin : très loin, à tous égards, de Paris et de ses turpitudes qu’il faut pourtant affronter pour réussir, le Maine-etLoire et la Sarthe sont limitrophes.
Alfred de Falloux du Coudray est né en 1811 à Angers, dont le préfet et l’évêque étaient alors frères, et s’est installé au domaine familial du Bourg-d’Iré, dans l’arrondissement de Segré ; il y a fait construire un château, racheté l’an dernier par deux Américains. François, natif du Mans, où il fut élève à Notre-Dame-de-Sainte-Croix, s’est fait gentleman-farmer en acquérant le manoir médiéval de Beaucé, près de Sablé-sur-Sarthe. Ces pays confinent à la Vendée, dont la mémoire historique, très vive au milieu du XIXe siècle, n’est pas éteinte à la fin du XXe ; le notaire Michel Fillon, père de François, et nombre de ses ascendants sont originaires des Essarts, où eut lieu un épisode sanglant de la guerre de Vendée.
Dans son célèbre « Tableau politique de la France de l’Ouest sous la troisième République », André Siegfried identifie l’arrondissement de Segré et le canton de Sablé comme des creusets de la droite la plus pure, fondée sur l’union étroite du château et du presbytère. Pour conserver sa domination locale, la noblesse a su se servir avec succès des fonctions électives, dans la conviction qu’elles lui revenaient de droit, portant du reste attention, et parfois remède, aux misères de la condition paysanne et même ouvrière, dont sortira le catholicisme social. Alfred de Falloux fut, à 35 ans, en 1846, élu député de Maine-et-Loire sous la monarchie de Juillet et le demeura sous la IIe République, dont il accepta d’être ministre de l’Instruction publique et des Cultes, sous Napoléon Bonaparte. Il laissa son nom à une célèbre loi adoptée sous son successeur et fit une large place aux instances religieuses dans l’organisation de l’enseignement, sans le leur livrer totalement, ce qui lui valut la double hostilité des ultras catholiques et des républicains.
François Fillon, qui a détenu le même portefeuille cent cinquante-cinq ans plus tard, demeure dans le même esprit, en dépit de l’évolution des mentalités. Car l’école libre est l’un des marqueurs les plus solides de la tradition catholique de l’Ouest intérieur, où églises et abbayes sont en nombre. L’une des plus célèbres est celle de Solesmes, dont le refondateur, dom Guéranger, fut proche de Falloux, et dont Penelope Fillon est conseillère municipale de la commune. Autre lien peut-être pas tout à fait fortuit : le fils aîné de François Fillon a épousé la fille d’une La Croix de Ravignan, nom qui évoque un autre ami de dom Guéranger et Alfred de Falloux, l’illustre jésuite Xavier de Ravignan. C’est que la bourgeoisie locale, qui dans les débuts de la République pouvait voter à gauche, s’est fortement déportée vers la droite après 1889 : la cause de la monarchie étant perdue, elle s’est reconstituée dans une droite catholique – et non pas une démocratie chrétienne, plus intellectuelle et plus ouverte – accueillant de nouveaux éléments.
Pour s’agréger à l’ancienne société et ainsi « être bien vue », écrit Siegfried, la bourgeoisie urbaine s’est en quelque sorte ruralisée, acquérant manoirs et biens fonciers, passant des alliances avec ce qui restait de noblesse et adoptant des idées, investissant enfin les fonctions électives. Religion, famille, autorité, patrimoine, préoccupations sociales, politique revendiquant, selon le comte Alfred, « l’habileté du vrai » , de Falloux à Fillon la conséquence est bonne
Fillon, qui a détenu le même portefeuille cent cinquante-cinq ans plus tard, est dans le même esprit.