La chronique de Patrick Besson
Une série doit se manger en une fois, comme un kebab. Ces feuilletons télé de notre enfance dont les épisodes se terminaient trop tôt : il fallait attendre une semaine pour connaître la suite de l’histoire. Thierry et sa fronde, Vidocq avec ses bagnards, Rocambole sous son hautde-forme ; on ne les retrouvait qu’après sept jours d’impatience. Le DVD a été inventé par quelqu’un de ma génération ayant trop souffert devant le poste de ses parents avec les mots : à suivre. J’ai regardé les 12 épisodes de « Kaboul Kitchen 3 » de 17 à 23 heures, le jour même où j’ai trouvé, chez Gibert Joseph, le coffret. Je ne me suis pas arrêté, sauf pour manger quelques dattes offertes par Hosni Djemmali lors de mon dernier déjeuner au Comptoir de Tunisie (≈≈). Pas de dîner, il y a un plateau télé, mais il n’y a pas de plateau série. La série ne se regarde pas à plusieurs, car il y aura toujours quelqu’un qui ne voudra pas regarder l’épisode suivant, prétendant qu’il en a déjà vu quatre ou cinq et qu’il est temps pour lui ou bien de faire autre chose, ou bien de se coucher. Seul, affamé et infatigable, l’amateur de séries n’a qu’un but : aller au bout de l’histoire afin d’effacer les chagrins de son enfance où il était obligé d’attendre la suite au prochain numéro.
La saison 3 de « Kaboul Kitchen » – créateurs : Jean-Patrick Benes, Allan Mauduit et Marc Victor – commence par une mauvaise nouvelle : Jacky (Gilbert Melki), l’ancien patron du resto, est mort. Tué par la mafia russe, une balle dans chaque oeil. Les Russes ont remplacé, dans l’imaginaire occidental, les nazis, qu’ils ont vaincus en 1945 ; ça doit leur faire tout drôle. Dans la plupart des films, téléfilms et feuilletons tournés dans l’Union européenne et aux Etats-Unis, ils sont brutaux, sadiques, insensibles, abominables. Est-ce Melki qui n’a plus voulu du rôle ou le rôle qui n’a plus voulu de lui ? On ne le saura pas, car l’éditeur ne propose pas de making of et donc ne donne aucune explication. Melki – l’irrésistible Patrick des trois « Vérité si je mens » – a été remplacé par Stéphane De Groodt, qui brille dans un rôle d’escroc poétique de charme à la petite semaine comme les aimait Françoise Sagan dans la vie ainsi que dans ses livres (« La femme fardée »). Il finira, après de nombreux et astucieux rebondissements, par diriger le Kaboul Kitchen, Sophie (Stéphanie Pasterkamp) quittant l’établissement, l’Afghanistan et son mec (Alexis Michalik) pour rentrer en France avec son bébé.
« Kaboul Kitchen », c’est la guerre dans ce qu’elle a de mieux : l’argent liquide de l’Union européenne coulant à flots pour des missions pseudo-humanitaires, tout le monde toujours prêt à coucher avec tout le monde par peur de la mort du lendemain, copains de bar ultrasympas de la DGSE (l’action se passe en 2006), fêtes infinies. Si la guerre n’avait pas des côtés charmants, on ferait moins de films sur elle et on n’écrirait pas autant dessus. Quel repos pour le guerrier en temps de paix ? S’il n’avait pas autant fait jouir les Français avec ses batailles à répétition, Napoléon ne serait sans doute pas enterré tout seul comme un pharaon dans la majesté de l’hôtel des Invalides alors que Chateaubriand, qui n’a jamais tué personne, doit se contenter d’un rocher en Bretagne. On a tout le temps envie de rejoindre en Afghanistan les personnages de « Kaboul Kitchen » pour vivre avec eux une série télé de plusieurs années. Il paraît que le vrai Kaboul Kitchen est toujours ouvert. C’est tentant
« Si la guerre n’avait pas des côtés charmants, on ferait moins de films sur elle et on n’écrirait pas autant dessus. Quel repos pour le guerrier en temps de paix ? »