Le Pen-Mélenchon, les jumeaux de la ruine
Acampagne électorale inédite scrutin inédit ? A en croire les tout derniers sondages et leur fameuse dynamique, la probabilité d’assister, le 7 mai, à une finale Marine Le Pen-Jean-Luc Mélenchon ne peut plus être considérée comme nulle. Alors que les meilleurs commentateurs politiques le considéraient comme totalement fantaisiste il y a encore quelques semaines, les mêmes expliquent aujourd’hui qu’au vu du plongeon sans élastique de Benoît Hamon, de la position encalminée où se trouve François Fillon et du net ralentissement de la marche vers l’Elysée d’Emmanuel Macron, ce scénario est devenu parfaitement réaliste.
On a un peu de mal à imaginer la violence de la tempête qui se mettrait à souffler sur les marchés financiers internationaux si les deux candidats de l’extrême droite et de l’extrême gauche arrivaient en tête au soir du premier tour de l’élection du chef de la cinquième puissance mondiale. Et encore plus la tête que feraient tous les investisseurs américains ou asiatiques, qui détiennent plus de 1 000 milliards d’euros de notre dette d’Etat en apprenant, le 23 avril à 20 heures, par un message d’alerte sur leur smartphone, que la France s’apprête à élire soit une présidente qui se propose de les rembourser en monnaie de singe, dans un franc fortement dévalué, soit un président qui estime que « la dette, c’est de la rigolade » et que nos créanciers sont des « voleurs » .
Il est fort probable aussi que le taux d’abstention atteindrait au second tour un niveau record, avec le refus de très nombreux Français de se déplacer pour avoir à choisir, sur le plan économique, entre la peste et le choléra. Pour avoir à choisir entre deux candidats qui tous deux voient dans les grandes entreprises du CAC 40 des figures du mal, qui proposent de combattre pour de bon « la finance ennemie » , de rompre avec « le système » , avec la mondialisation, l’Europe et l’euro. Qui tous deux entendent relancer la croissance en augmentant fortement les salaires, les dépenses publiques et sociales et les effectifs de fonctionnaires. Qui tous deux veulent renforcer le rôle de l’Etat dans la vie économique et recourir au protectionnisme pour préserver l’industrie française et empêcher les délocalisations, protectionnisme « solidaire » pour l’un, protectionnisme « intelligent » pour l’autre.
Même si cela exaspère Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon quand un journaliste a l’audace de le leur signaler, leurs programmes économiques apparaissent de fait extraordinairement proches, tant dans les mesures qu’ils contiennent que dans l’idéologie qu’ils véhiculent. De cette grande convergence économique la patronne du Front national est directement à l’origine. Ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui a droitisé son programme, c’est Marine Le Pen qui, sous l’influence notamment de l’ex-chevènementiste Florian Philippot, a gauchisé le sien. Et rompu avec la ligne poujado-libérale défendue par son père, qui prônait la désétatisation et la déréglementation de l’économie, faisait l’éloge de la concurrence, des baisses massives d’impôts et des privatisations.
Selon le décompte qu’avait effectué le chercheur Gilles Ivaldi, alors que 82 % des mesures écono-
Selon le chercheur Gilles Ivaldi, alors que 82 % des mesures économiques du FN de 1986 se situaient résolument « à droite », 68 % de celles de Marine Le Pen en 2012 étaient étiquetées « à gauche ».
miques contenues dans le programme électoral du Front national de 1986 se situaient résolument «à droite » , 68 % des mesures du projet de Marine Le Pen en 2012 étaient étiquetées « à gauche » . Pourcentage qui a encore beaucoup progressé depuis cinq ans. Les 144 engagements présidentiels de Mme Le Pen ont même pris des allures de programme commun de la gauche de 1981 : « revaloriser le minimum vieillesse partout en France » , « instaurer une prime de pouvoir d’achat à destination des bas revenus et des petites retraites pour les revenus jusqu’à 1 500 euros par mois » , « baisser immédiatement de 5 % les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité » , « revaloriser le point d’indice pour les fonctionnaires » , « mettre en place un plan de réindustrialisation dans le cadre d’une coopération associant l’industrie et l’Etat stratège pour privilégier l’économie réelle face à la finance spéculative » , « aggraver les sanctions contre les dirigeants d’entreprise coupables d’ententes ou d’agissements frauduleux qui ponctionnent une partie du pouvoir d’achat des consommateurs », etc. Sans oublier, bien sûr, l’emblématique engagement 52, qui prévoit, exactement comme le programme de M. Mélenchon, de « fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisations pour percevoir une retraite pleine » .
Preuve de leur proximité de pensée en matière économique, c’est avec les mêmes mots et le même enthousiasme que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont apporté leur soutien aux grandes batailles syndicales du quinquennat de François Hollande. Contre la loi El Khomri, qualifiée de « vrai recul et régression pour tous » par la première, « de retour au siècle dernier » par le second.
Ou encore, en juin 2014, lors de la grève des cheminots pour protester contre l’ouverture à la concurrence. « Le service public ferroviaire est en danger, affecté par une nouvelle régression visant à l’ouvrir totalement à la concurrence, affirmait alors la patronne du FN. Cette libéralisation totale aura des conséquences catastrophiques qu’on connaît par avance : hausse massive des tarifs comme l’électricité et le gaz l’ont connue
avec la libéralisation, baisse de la sécurité et suppression de nos lignes les moins rentables, principalement dans nos campagnes et autour de nos villes moyennes. » Et au même moment Jean-Luc Mélenchon écrivait : « Chers camarades cheminots, je tiens à vous rappeler mon soutien dans cette bataille. Je partage votre analyse sur les résultats de ces libéralisations : les compagnies nationales sont lancées dans une course effrénée pour réduire les coûts, au détriment de la qualité du service public, de la sécurité et des conditions de travail des salariés du rail. »
C’est aussi avec les mêmes cris de joie que JeanLuc Mélenchon et Marine Le Pen avaient salué la victoire du parti de la gauche radicale Syriza aux élections législatives en Grèce. « Un moment historique » , avait déclaré le leader de La France insoumise, tandis que Marine Le Pen se réjouissait de « la gifle démocratique monstrueuse que le peuple grec vient d’administrer à l’Union européenne » . On n’en finirait pas, en vérité, d’énumérer les admirations et les références économiques communes aux deux leaders frontistes, dont celle du modèle social français élaboré par le Conseil national de la Résistance est aussi très représentative de leur profond déclinisme, de leur fascination partagée pour un passé révolu et une grandeur perdue.
« Germinal ». Malgré sa passion pour YouTube et les hologrammes, la France que vénère M. Mélenchon, c’est celle de la fin du XIXe siècle, de « Germinal », des mines et des grands combats ouvriers. Et si lui-même semble s’être adouci avec l’âge et être devenu un peu moins agressif et haineux, on ne peut pas en dire autant de ses idées économiques, mélange détonant d’ultrakeynésianisme, de malthusianisme et de marxisme. Le même, à peine remanié, que celui de la gauche de mai 1981. Qui assure que la compétitivité est un concept inventé par un patronat exploiteur et qu’il faut baisser le temps de travail (32 heures) pour lutter contre le chômage. Qu’il est possible et nécessaire de s’affranchir des contraintes extérieures pour relancer la croissance par la dépense publique (273 milliards d’euros) et le soutien au pouvoir d’achat (hausse de 16 % du smic). Que le meilleur moyen de lutter efficacement et durablement contre les inégalités est de faire payer les riches. Il doit à cet égard être extraordinairement douloureux pour l’admirateur de Zola qu’il est de constater que les ouvriers qu’il chérit tant et qu’il prétend représenter et défendre se tournent beaucoup plus vers Marine Le Pen que vers lui (44 % des intentions de vote contre 14 %). De constater que les classes populaires préfèrent la candidate d’« Au nom du peuple » au candidat de « La force du peuple ».
Beaucoup, à gauche, ont déploré que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne soient pas parvenus à se mettre d’accord pour présenter un candidat unique qui, vu les circonstances, aurait été quasi assuré d’être présent au second tour. Compte tenu de la ressemblance de leurs programmes économiques, de leur détestation commune du libéralisme, de la mondialisation, de la libre concurrence, du capitalisme financier et de l’austérité bruxelloise, il aurait été en vérité bien plus logique et cohérent que JeanLuc Mélenchon s’alliât avec Marine Le Pen. Ce qui est certain, c’est que, si les deux candidats de l’extrême arrivent en tête le soir du 23 avril, les questions économiques occuperont peu de place lors du débat de l’entre-deux tours tant ils partagent les mêmes idées aboutissant au même résultat : la rapide faillite de la France
Compte tenu de la ressemblance de leurs programmes économiques, il aurait été en vérité bien plus logique et cohérent que Jean-Luc Mélenchon s’alliât avec Marine Le Pen.