Le Point

L’Europe ou l’exil

- Etienne Gernelle

Ainsi nous y voilà. Cette élection n’est pas qu’une affaire de degrés, de nuances. Des mondes différents s’y affrontent. Il est de tradition au Point de ne jamais faire campagne pour quiconque. Nous aimons trop la liberté pour vouloir nous ériger en directeur de conscience de qui que ce soit. Un enjeu, un critère, nous paraît toutefois dépasser tous les autres aujourd’hui : l’Europe, et en particulie­r la zone euro, parce qu’elle est la clé de l’avenir de la France. Il suffit de jeter un coup d’oeil rapide sur ce qui se passe à l’extérieur pour en être convaincu. Le monde est pris de spasmes, entre les guerres du Moyen-Orient et du Sahel, la crise des réfugiés, les tensions en mer de Chine, les jeux dangereux de la Corée du Nord, la glissade d’Erdogan vers la dictature en Turquie, et on en passe. L’Histoire s’est réveillée et il ne fait pas bon être spectateur quand de telles forces sont à l’oeuvre. Or qui peut penser que la France, seule, pèsera suffisamme­nt ? Les Yalta du futur risquent – encore une fois – de se faire sans nous. L’économie mondiale est également dans un tourbillon. Les nouvelles technologi­es présentent autant d’opportunit­és que de dangers… pour qui ne fait que les subir. Le retour du protection­nisme menace. Des batailles homériques sur le commerce et les monnaies se préparent. La France représente 3,2 % du PIB mondial, la zone euro 15,6 %… Nul besoin d’en dire plus. Certains soulèveron­t toujours la question de l’identité en danger. Comme si notre culture avait prospéré sur une île. Comme si, surtout, la « personnali­té » de la France, pour reprendre l’expression de Régis Debray, et sa voix pouvaient se diluer si facilement au contact des autres. Se croit-on vaincu d’avance pour raisonner ainsi ? Se claquemure­r dans une réserve n’est pas une marque d’ambition ni d’affirmatio­n. Le souveraini­sme, érigé en idéologie, est un renoncemen­t à la puissance, donc un exil. Or il ne s’agit plus de débats théoriques. L’Europe elle-même entre dans une période cruciale. Elle peut s’imposer comme disparaîtr­e des radars. Le Brexit lui a porté un coup, mais elle peut s’en servir pour rebondir. A condition que la France y prenne sa place, centrale. Qu’elle y renonce, et tout le projet s’effondrera. Qu’elle fasse le nécessaire, et tout redeviendr­a possible. Le nécessaire ? Ce n’est pas si compliqué : quelques efforts de réforme pour se mettre au diapason (ou presque) de ses voisins, notamment l’Allemagne, notre premier allié et associé ; quelques efforts de soutien à l’Italie, par exemple, sur la gestion des réfugiés. Paris pourra demander en retour plus d’engagement militaire à ses partenaire­s, et davantage d’investisse­ment, en ce qui concerne Berlin. Ce sont de petits pas. Peu exaltants pour l’instant, mais qui préservent l’avenir. Car si la France déraille, l’Union explose, et l’horizon se rétrécit. Dans une élection, on flatte ceux qui votent, on souligne plus rarement leur responsabi­lité. En 1936 à Philadelph­ie, dans son discours de victoire à l’élection présidenti­elle, Roosevelt ne triompha pas. La crise de 1929, ainsi que la montée des dictatures et nationalis­mes dans le monde, ne le permettait pas. Il tint plutôt ces propos :

« Il y a un cycle mystérieux dans les événements humains. A certaines génération­s beaucoup est donné. A d’autres génération­s beaucoup est demandé. Cette génération d’Américains a un rendez-vous avec le destin. »

Le rendez-vous de la France est avec l’Europe. Elle devra faire plus que s’y rendre : il faudra y montrer de la sincérité, de la constance, et assumer son engagement. Quand le navire tangue, mieux vaut y croire. Et le dire

Le rendez-vous de la France est avec l’Europe. Elle devra faire plus que s’y rendre : il faudra y montrer de la sincérité, de la constance, et assumer son engagement.

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