Les trous noirs de la campagne
Les propos abracadabrantesques sur le revenu universel ont éclipsé les questions, essentielles, elles, du logement et du vieillissement.
La campagne du premier tour de l’élection présidentielle n’a pas seulement été remarquable, dans son volet économique, par la quantité impressionnante de propositions abracadabrantesques qui ont été présentées et par l’engouement qu’elles ont suscité auprès de très nombreux Français. Elle a aussi été très instructive par les sujets, essentiels, qui ont brillé par leur discrétion ou leur absence.
A l’inverse des campagnes présidentielles de 2007 – quand Nicolas Sarkozy promettait une France de propriétaires – ou de 2012 – quand François Hollande annonçait 500 000 constructions de logements par an pendant son quinquennat –, le logement est un des grands oubliés de cette élection. Il constitue pourtant toujours l’une des premières préoccupations des Français – et pas seulement des 4 millions de mal-logés –, justifiée par le fait qu’il représente leur plus gros poste de dépenses et que celui-ci ne cesse d’augmenter : il s’établissait à 26,4 % en 2015, selon Eurostat, contre 23,1 % en 2000, 19,6 % en 1980 et 16 % en 1970, soit le double du budget consacré aux transports et à l’alimentation (13 % chacun). Parmi les 28 pays de l’Union européenne, la France est aussi le troisième, derrière le Danemark (29,4 %) et la Finlande (28,2 %), où le coût du logement est le plus élevé.
Cette cherté est un problème économique majeur, puisqu’il est à la fois un handicap pour la compétitivité globale de l’économie (des études internationales ont démontré qu’il existe une corrélation entre la hausse du prix du mètre carré et l’aggravation du déficit commercial), une source d’inégalités sociales (73 % des hauts revenus sont aujourd’hui propriétaires de leur logement contre seulement 31 % des bas revenus) et intergénérationnelles (la part moyenne du budget consacré au logement par les 20-30 ans est désormais quatre fois supérieure à celle des plus de 60 ans, alors qu’elle était seulement deux fois plus élevée au début des années 1980).
Peut-être la proportion très élevée, neuf sur onze, de propriétaires parmi les candidats à l’élection présidentielle (seuls Philippe Poutou et Emmanuel Macron étant locataires) a-t-elle joué, de façon inconsciente, dans leur manque d’intérêt pour la question du logement. Il était surtout difficile et électoralement risqué de l’évoquer sans remettre publiquement en question le système extraordinairement coûteux, mais très populaire, de l’aide au logement en France (0,9 % du PIB contre 0,3 % en moyenne dans la zone euro, 17 milliards d’euros et 6 millions de bénéficiaires aujourd’hui contre 3,3 milliards et 3 millions de bénéficiaires en 1984), dont le principal résultat est d’entretenir artificiellement, dans un cercle absurde et vicieux, la hausse des prix de l’immobilier et la cherté des loyers.
Sans doute parce qu’il n’est pas très réjouissant, le vieillissement de la population, sous l’effet de l’allongement de la durée de la vie et de l’avancée en âge des générations du baby-boom,
La dette publique, compte tenu du vieillissement démographique, s’envolerait à 228 % du PIB en 2050.
est un autre thème économique majeur oublié de la campagne. Le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans a augmenté en France d’un quart en dix ans et leur part dans l’ensemble de la population (23,8 %), désormais équivalente à celle des jeunes de moins de 20 ans (24,7 %), devrait monter à 30 % en 2030. A cette date, les Français de plus de 75 ans seront 8,6 millions.
Il est quand même désolant de la part de candidats censés préparer l’avenir du pays et même pour certains son futur désirable qu’ils aient aussi peu évoqué ce choc démographique annoncé, qui va profondément bouleverser, dans les trente prochaines années, tout le fonctionnement de l’économie et de la société et qui menace directement notre niveau de vie (une augmentation de 10 % de la population âgée de plus de 60 ans se traduit par une baisse de plus de 5 % du PIB par habitant). Il est vrai qu’il aurait fallu expliquer que la France allait avoir un besoin économique vital, dans les prochaines décennies, d’augmenter la main-d’oeuvre immigrée, ce qui n’aurait pas été très populaire, et que de gigantesques problèmes de financement de la protection sociale se profilaient à l’horizon. Une étude de Standard & Poor’s a estimé que, sans ajustement majeur, les dé- penses publiques, compte tenu du vieillissement démographique, pourraient atteindre 65 % du PIB en France en 2050, 9 points de plus qu’aujourd’hui, que la dette publique s’envolerait à 228 % du PIB à cette date et que le déficit atteindrait 15 % du PIB.
Il est à cet égard symptomatique qu’un thème aussi éthéré que le revenu universel ait occupé durant cette campagne une place bien plus grande dans les médias et les réseaux sociaux que la situation de nos finances publiques, pourtant au bord de l’explosion. Il est encore plus effrayant de penser que la responsabilité en incombe moins aux candidats qu’aux Français eux-mêmes, qui considèrent visiblement en majorité comme parfaitement normal et anodin le fait que la France ait besoin d’emprunter cette année sur les marchés financiers 185 milliards d’euros pour payer nos infirmières et nos professeurs. Autant par les propos économiques délirants entendus au cours des dernières semaines que par les non-dits et les grands dossiers soigneusement glissés sous le tapis, la campagne du premier tour a permis de mesurer l’extrême gravité du mal dont souffre notre pays et l’extraordinaire difficulté qu’il y aura à le soigner