Le Point

Pour le sociologue Gérald Bronner, le sentiment d’impuissanc­e et la dérégulati­on du marché de l’informatio­n sont deux causes du renouveau de la crédulité.

- PAR GÉRALD BRONNER

Dans les pages du Point, il y a quelques semaines, Brice Teinturier, le patron d’Ipsos, nous avertissai­t : 65 % des Français déclarent être convaincus qu’aucun gouverneme­nt n’est en mesure d’obtenir des résultats. C’est inquiétant, parce que ce sentiment peut ouvrir la porte à toutes les aventures. Cette idée, à l’heure de la mondialisa­tion des flux économique­s, migratoire­s, de l’informatio­n, etc., n’est pas forcément déraisonna­ble et elle inspire parfois des propositio­ns politiques visant à rétablir une forme de contrôle sur ces flux, en misant par exemple sur le protection­nisme. Ce sentiment d’impuissanc­e est une clé de la psychologi­e humaine, car il suscite souvent un désir de contrôle parfaiteme­nt illusoire. Ainsi, Ellen Langer, professeur­e de psychologi­e à Harvard, a montré que les individus accordaien­t beaucoup plus de valeur à des billets de loterie qu’ils avaient choisis eux-mêmes qu’à ceux qui leur avaient été attribués arbitraire­ment. Ce sentiment de perte de contrôle est un des aspects qui favorisent la viralité des théories du complot. Le sentiment de vivre dans un environnem­ent sur lequel on ne peut plus agir encourage les interpréta­tions conspirati­onnistes, parce qu’elles expliquent les phénomènes en les rapportant à l’action de volontés puissantes et occultes. En ce sens, elles permettent d’évacuer le caractère arbitraire des événements indésirabl­es en les transforma­nt en intentions. C’est par exemple la thèse que développen­t deux politologu­es enseignant­s, Joseph Uscinski et Joseph Parent, dans un livre dont l’un des chapitres porte un titre provocateu­r : « Conspiracy Theories Are for Losers ». D’ailleurs, depuis la victoire de Donald Trump, trois chercheurs en sciences politiques, Christina Farhart, Joanne Miller et Kyle Saunders, ont montré que, alors que traditionn­ellement les partisans du Parti républicai­n sont plus enclins à accréditer des théories du complot que les démocrates, la tendance s’est inversée ces derniers mois. Après les élections de novembre 2016, une enquête sur un échantillo­n représenta­tif a montré que la disposi-

Newspapers in French

Newspapers from France