Femme, pirate et vengeresse
Laure Buisson ressuscite Jeanne de Belleville, baronne bretonne du Moyen Age et terreur des vaisseaux français. Tranchant.
L’héroïne de son premier roman, machiavélique, était aussi bonne cuisinière que bonne criminelle. Dans « Blanquette » (2000), elle décidait d’en finir avec son mari en l’empoisonnant avec ce délicieux plat, mais relevé au Tranxène. Avec « Pour ce qu’il me plaist », Laure Buisson donne dans une autre version de « la vengeance d’une femme » . Direction le Moyen Age et la première femme pirate de l’histoire de France, Jeanne de Belleville, aristocrate rebelle par amour qui a réellement existé. Au coeur du récit, cette guerre qui durera cent ans entre la France et l’Angleterre. Elle a à peine commencé que, déjà, l’ennemi décu-
lotte l’armée de Philippe VI. Les Français battent en retraite et, au milieu, la petite Bretagne se rallie à la grande. Pour autant, Jeanne, dame de Clisson, n’en a pas fini avec la France. Sur ordre du roi, son mari bienaimé, flamboyant seigneur de guerre, est condamné pour haute trahison. Le 3 août 1343 à midi, sa tête est piquée sur une lance. Poursuivie à son tour, la veuve devient une paria, « le loup que l’on rabat vers le ravin et qui n’a d’autre choix que de se rendre ou de sauter ». Alors elle saute. « Les Clisson n’ont pas de larmes, criet-elle à ses enfants, ils ont des armes. Maurice, Olivier ! Ne pleurez pas ! La Bretagne le fera pour vous. Le blason de Clisson a été souillé par le déshonneur et vous allez lui rendre son éclat. Vous le laverez par le sang. Le sang français. » Elle quitte le monde des vivants, la France et la terre ferme. Flanquée de ses jeunes fils, elle arme un navire, hisse le drapeau noir et sème la terreur sur les fleuves et les côtes de France. Dans chaque village, baronnie ou monastère, on tremble devant celle qui désormais se fait appeler « la Lionne sanglante » .
Mariée trois fois (presque quatre) et autant de fois veuve, mère de sept enfants (dont un mourra de froid et de faim sur un canot après un abordage raté), elle vit passer cinq rois de France et deux d’Angleterre. Enfant, la drôlesse rêvait de romances et de beaux chevaliers, s’imaginant Guenièvre ou Iseult. A 43 ans, aussi insolente que la devise de son blason « Pour ce qu’il me plaist », elle fut la chevaleresse, la piratesse, frondeuse, ardente et indépendante, sans pitié. Quel destin ! La fascination de Buisson pour son personnage est communicative. Sa langue est éclatante, le travail de reconstitution historique, spectaculaire. Trahison, vengeance, serments d’honneur, promesses d’amour, gorges tranchées, femme et enfants pirates voguant, abordant et pillant tout ce qui porte pavillon fleurdelysé… C’est « Black Sails » chez les Plantagenêts, le Moyen Age comme on ne l’a jamais lu « Pour ce qu’il me plaist », de Laure Buisson (Grasset, 336 p., 20,90 €).