Le Point

Kore-eda face à lui-même

Un soir de typhon, à Tokyo, une famille disloquée est contrainte de passer la nuit ensemble. Bouleversa­nt.

- PAR VICTORIA GAIRIN

On reproche souvent à Hirokazu Kore-eda de ne pas renouveler ses marottes. Dans les films du cinéaste japonais, il est souvent question d’enfance, de transmissi­on, de liens familiaux tourmentés… Faux procès. N’est-ce pas justement tout son génie que de savoir explorer les méandres de l’âme, tel un peintre impression­niste, dans toute la complexité de sa palette ? La tendresse mélancoliq­ue de « Tel père, tel fils » (2013) et de « Notre petite soeur » (2015) laisse la place, dans « Après la tempête », présenté à Cannes l’an dernier, à l’amertume douloureus­e d’un passé dilapidé. Ryota (Hiroshi Abe), magnifique loser tchékhovie­n, accumule les désillusio­ns malgré un début de carrière d’écrivain prometteur. Il gagne sa vie comme il peut en jouant les détectives privés, puis dilapide son maigre salaire, comme son père avant lui, en pariant aux courses. Son addiction lui fait tout perdre : la femme qu’il aime, l’estime de sa mère et la garde de son fils. Pour payer la pension alimentair­e, l’antihéros, dont les maladresse­s finissent par devenir drôles et attachante­s, va même jusqu’à essayer d’escroquer sa mère. « C’est un film pour remonter le temps, confie le cinéaste. Ryota est à la fois mon père, qui n’a jamais beaucoup travaillé et disparaiss­ait systématiq­uement le jour de la paie, et moi, qui me questionne aujourd’hui sur les valeurs que je dois transmettr­e à mon propre enfant. » Le temps se fait lourd. Dans sa barre HLM de l’Asahigaoka Housing Complex de Kiyose – où Kore-eda a grandi –, la mère de Ryota attend nerveuseme­nt le énième typhon de la saison. C’est là que vont se réunir les trois génération­s, qui, au rythme faussement apaisé des longues heures d’attente, se racontent et essaient de se comprendre. Comme toujours, le cinéaste dévoile symboles, regards intimes et traits d’humour, avant de s’effacer derrière une mise en scène sobre et délicate. « Même dans les situations extrêmes, il reste une part d’enfance irréductib­le : le jeu, l’imaginaire » , confie le cinéaste. Au coeur de la tempête, comme une ode à l’instant présent, ce père à l’âme d’enfant et ce fils à la maturité d’adulte se retrouvent, comme deux gamins, à manger des gâteaux sous le toboggan de la résidence et à courir après des billets de loterie dispersés par le vent. « C’est mon film le plus personnel, conclut Kore-eda. Après ma mort, si j’ai la chance de me retrouver devant Dieu et qu’il me demande “Qu’as-tu fait sur Terre ?”, je commencera­i par lui montrer ce film. »

« Après la tempête », en salles le 26 avril.

« Même dans les situations extrêmes, il reste une part d’enfance irréductib­le : le jeu, l’imaginaire. » Hirokazu Kore-eda

 ??  ?? Transmettr­e. « C’est mon film le plus personnel », confie Hirokazu Kore-eda à propos d’« Après la tempête ».
Transmettr­e. « C’est mon film le plus personnel », confie Hirokazu Kore-eda à propos d’« Après la tempête ».
 ??  ?? Antihéros. Un faceà-face plein d’amertume entre un père à l’âme d’enfant et un fils à la maturité d’adulte.
Antihéros. Un faceà-face plein d’amertume entre un père à l’âme d’enfant et un fils à la maturité d’adulte.

Newspapers in French

Newspapers from France