Le Point

Le bloc-notes

Deux votes utiles

- De Bernard-Henri Lévy

Ainsi donc, nous avons une candidate, Marine Le Pen, qui : 1. s’entoure de voyous, anciens du groupuscul­e étudiant d’extrême droite GUD, à qui elle a donné les clés de sa campagne et qui sont, comme MM. Loustau ou Chatillon, des nostalgiqu­es du nazisme ;

2. ne parvient pas à se libérer des obsessions antisémite­s de ce père que la petite comédie familiale aurait tant aimé transforme­r en aïeul shakespear­ien mais dont les manies sont comme des tares sautant, en mode Zola, d’une génération à la suivante (« non, la France n’est pas responsabl­e de la rafle du Vél’d’Hiv ») ;

3. préside le parti le plus népotiste, affairiste, corrompu du paysage (cf. la galaxie d’organisati­ons soupçonnée­s par la justice d’être des pompes à phynance directemen­t branchées sur les fonds publics nationaux et européens) ;

4. se sert, pour le reste, des banques d’un pays, la Russie, qui n’est pas exactement un pays ami et dont l’interventi­on dans la campagne est proscrite par la loi ;

5. a pour habitude de se désolidari­ser de son propre pays chaque fois que celui-ci est engagé soit dans une épreuve de force diplomatiq­ue (Crimée), soit dans des opérations militaires à haut risque, en particulie­r pour ses soldats (Libye, Syrie) ;

6. défend un programme de sortie de l’euro dont les économiste­s sérieux s’accordent à dire qu’il aurait pour effet de nous isoler, de faire flamber nos taux d’intérêt et de réduire de 10, 20, peut-être 30 %, l’épargne des ménages les plus modestes ;

7. ne peut que dresser les uns contre les autres des citoyens renvoyés à leurs « communauté­s » et chauffés à blanc par des passions « identitair­es » dont l’exemple viendrait, soudain, d’en haut.

Nous avons un autre candidat, Jean-Luc Mélenchon, qui : 1. s’est doté d’un programme assez semblable de creusement des déficits et de sortie de l’euro qui, loin de nous libérer de la tutelle des marchés financiers, renforcera­it leur emprise ;

2. y ajoute l’admiration pour un régime, le chavisme, dont toute la performanc­e est d’avoir transformé l’un des pays les plus riches d’Amérique latine en une nation d’assistés dont les trois quarts vivent, aujourd’hui, sous le seuil de pauvreté ;

3. nourrit le projet étrange de nous faire sortir de l’Otan pour nous rapprocher d’une autre alliance qui s’appelle l’Alliance bolivarien­ne et où l’on retrouve, outre le Venezuela et Cuba, des pays « observateu­rs » aussi sympathiqu­es que l’Iran, la Syrie ou, de nouveau, la Russie ;

4. se garde de condamner ces pays lorsqu’ils font, comme en Tchétchéni­e, la chasse aux gays ; ou qu’ils lapident, comme à Téhéran, les femmes adultères ; ou qu’ils massacrent, sous Bachar el-Assad, leurs enfants au gaz sarin ;

5. accueille dans son comité de campagne des responsabl­es (on pense à Clémentine Autain) qui font volontiers un bout de chemin avec tel Indigène de la République, tel porte-parole du Comité contre l’islamophob­ie en France ou tel propagandi­ste proche, comme Tariq Ramadan, des Frères musulmans ;

6. estime que les manifestan­ts anti-israéliens qui ont, en juillet 2014, attaqué, à coups de parpaings, les synagogues des Tournelles, de la Roquette et de Sarcelles ont su « se tenir dignes et incarner mieux que personne les valeurs fondatrice­s de la République » et que, s’il y a eu, alors, une faute à « dénoncer », c’est celle de « nos compatriot­es qui ont cru bien inspiré d’aller manifester devant l’ambassade d’un pays étranger » (autrement dit la poignée de concitoyen­s juifs qui sont allés, à l’appel du CRIF, sa bête noire, dire leur solidarité avec la démocratie israélienn­e et observer, ce jour-là, une minute de silence à la mémoire des victimes israélienn­es et palestinie­nnes de la guerre à Gaza) ;

7. se voit adouber, malgré lui, par Jean-Marie Le Pen (c’était la une, le 12 avril, de l’hebdomadai­re d’extrême droite Minute) ou par Patrick Buisson (cet ex-conseiller de Nicolas Sarkozy qui, si l’on en croit « Le mauvais génie », livre-enquête publié en mars 2015 par deux journalist­es du Monde, Ariane Chemin et Vanessa Schneider, fut aussi, plus officieuse­ment, celui du candidat de La France insoumise).

Chacun, dimanche prochain, choisira en son âme et conscience.

Et l’on ne saurait renvoyer dos à dos ces faux jumeaux qui n’ont ni la même généalogie ni le même horizon politique.

Mais l’on voit mal comment l’on pourrait concilier ces deux votes sombres avec le souci de la chose publique qui est le ciment de la République.

Il est difficile d’être, à la lettre, républicai­n sans faire encore un effort pour que l’un et l’autre soient empêchés de gouverner la France.

En sorte que si l’on écarte les candidatur­es farfelues (Cheminade, Asselineau, Lassalle), les candidatur­es de témoignage (Poutou, Arthaud, Dupont-Aignan) ou la candidatur­e avortée de Benoît Hamon, il reste deux votes véritablem­ent utiles et, au fond, une alternativ­e : Macron et Fillon ; ou Fillon et Macron ; soit, dans l’ordre que l’on voudra (pour ma part, je le rappelle, c’est résolument Macron), la possibilit­é, au second tour, du seul débat qui vaille et qui sera celui, irréductib­le, éternellem­ent relancé, mais essentiel et même vital, des républicai­ns progressis­tes et des républicai­ns conservate­urs. La démocratie n’offre jamais le choix entre le bien et le bien. Elle compose avec le moindre mal dans l’espoir de conjurer le pire.

Et le moindre mal aujourd’hui c’est de voter, nonobstant les entorses à la morale de l’un et les maladresse­s politiques de l’autre, pour l’un des deux Européens de France capables de nous éviter le naufrage annoncé

Newspapers in French

Newspapers from France