La solitude de Thomas Piketty
Petit bilan économique du premier tour de la présidentielle.
Même en étant conscient du caractère aussi réducteur que prématuré d’une telle démarche, il est tout de même tentant d’essayer de tirer à chaud quelques enseignements économiques des résultats du premier tour de l’élection présidentielle.
Le premier, presque anecdotique mais plutôt réjouissant, il faut l’avouer, concerne Thomas Piketty, l’économiste vedette qui a sacrifié beaucoup de son temps, habituellement réservé à ses savantes recherches sur les inégalités, pour élaborer le programme de Benoît Hamon et aller à la télévision et dans les meetings, au côté de Martine Aubry, soutenir le candidat du « futur désirable ». C’est probablement avec un profond sentiment d’injustice, qu’il dénonce sans relâche dans ses ouvrages, qu’il a dû ressentir la fessée électorale reçue par Benoît Hamon. Même si, bien sûr, on ne peut lui imputer personnellement le manque de charisme d’un candidat à l’évidence plus dimensionné pour présider une association départementale de cyclotourisme que la République française, l’auteur du best-seller mondial « Le capital au XXIe siècle » vient d’apprendre à ses dépens qu’il est plus facile de trouver un lectorat qu’un électorat. Du moins faut-il espérer que cet échec permettra à Thomas Piketty de hisser son sens de l’humilité vers les sommets où habite déjà son intelligence.
Le très bon score obtenu par Jean-Luc Mélenchon ne reflète pas seulement l’amour que le « peuple de gauche » porte naturellement au théâtre et aux grands comédiens. Il illustre aussi son émouvant, mais surtout pathétique, amour du passé. Son attachement aux théories économiques mortes et enterrées du malthusianisme, du marxisme et du keynésianisme, sa nostalgie de mai 1981 et du programme commun d’une gauche qui se croit généreuse parce qu’elle se montre dépensière, qui prétend s’affranchir de toutes les contraintes mais provoque en quelques mois le désastre et la ruine. Sa nostalgie de la France de Zola, quand les hauts-fourneaux faisaient la fierté de l’industrie française et quand la lutte des classes tenait lieu de dialogue social.
Il semble par ailleurs assez clair que la qualification pour le second tour de Marine Le Pen doit moins à l’adhésion de ses électeurs aux mesures économiques contenues dans ses 144 engagementsprésidentielsqu’àleurhaineexpriméedefaçondécomplexée dans l’isoloir pour les immigrés, l’islam et une France métissée. Sa deuxième place a été conquise non pas grâce à son programme économique, mais malgré son programme économique. Malgré son projet de sortie de l’euro, malgré les innombrables preuves délivrées, tout au long de la campagne, par la candidate de l’extrême droite de son extrême incompétence dans ce domaine. Incompétence dont il faut espérer qu’elle constituera au second tour un plafond de verre blindé. Il n’en reste pas moins que les résultats de dimanche font ressortir un bilan terrifiant. Un électeur sur deux s’est prononcé en faveur de candidats qui proposaient rien de moins que de faire éclater « le système » et l’Europe, qui rejetaient en bloc ou en détail la mondialisation, l’économie de marché et le libre-échange. Quel que soit le résultat du second
L’élimination de François Fillon illustre le refus d’une partie de la droite de voir les finances publiques passées à la paille de fer.
tour, le mal révélé par le premier est immense. Qui a donné à l’étranger, de la France, une image désastreuse, celle d’un pays gravement malade, replié sur lui-même et profondément allergique aux réformes.
S’il est bien difficile de faire la part des responsabilités entre les costumes à 10 000 euros et les 100 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, entre les câlins à Sens commun et la fin des 35 heures et des RTT, entre les salaires de rêve versés dans la PME familiale et la hausse de la TVA, une chose est sûre : l’élimination de François Fillon illustre le refus d’une partie non négligeable du « peuple de droite » de voir nos finances publiques et notre modèle social passés à la paille de fer ou, en langage sarkozyste, au Kärcher.
Le Penelopegate a servi à beaucoup d’excellent prétexte moral pour refuser de boire le sirop au goût très amer que souhaitait administrer François Fillon à l’économie française pour la soigner. Dans le but de stopper l’envolée de la dette en baissant massivement les dépenses publiques et le nombre de fonctionnaires, de restaurer la compétitivité en réduisant fortement les charges des entreprises, d’en finir avec le chômage de masse en allégeant au maximum le Code du travail. La défaite de François Fillon, le « That- cher de la Sarthe », est venue rappeler cette évidence : la droite française n’a jamais été, n’est pas et ne risque pas de devenir dans un avenir proche, après une telle déconvenue, libérale.
Il est vrai qu’à côté du programme « radical » de François Fillon Emmanuel Macron proposait un projet de redressement économique autrement plus avenant. Fait de réformes indolores et joyeuses, ne nécessitant aucun effort individuel et n’exigeant aucun sacrifice collectif, permettant aux riches de payer moins d’impôts, mais aussi aux pauvres de mieux gagner leur vie, le tout dans une forme d’accomplissement personnel moderne et libérateur, symbolisé par la possibilité offerte à tout salarié de démissionner et de toucher le chômage.
Entre le sang, les larmes et la sueur annoncés par François Fillon et les sourires, l’allégresse et le bien-être promis par Emmanuel Macron, les Français ont effectué un choix – dont l’avenir dira si c’était le bon – finalement assez peu surprenant. Il est plus étonnant, en revanche, de constater que quelqu’un qui a été, pendant quatre ans, étroitement associé à l’élaboration d’une politique économique ayant très largement échoué et presque unanimement rejetée se retrouve aujourd’hui en position de grandissime favori pour succéder à François Hollande