Comment il a réussile casse du siècle
Le candidat d’En Marche ! est né politiquement le 26 août 2014. Et depuis…
«L a vie est inventive. » Voilà ce qu’Emmanuel Macron répétait en boucle quand, au coeur de cette campagne folle, il apparaissait comme un simple phénomène de mode, un joli garçon pour couverture de magazine people, ou un symptôme de cette époque hésitante, aux yeux de tous ceux qu’il entendait immodestement ranger dans les livres d’Histoire. Et leurs partis périmés avec. Que disaient-ils, déjà ? Ah oui ! « Un ovni », « Monsieur X », « un holog r a mme » , « un e bu l l e » , «u n beachboy », « la coqueluche des médias », « un ignorant des mouvements profonds de l’Histoire », etc. Crédible, lui ? Cet ex-banquier de Rothschild, jamais élu, qui a sacrifié sa crinière adolescente de Chateaubriand rêveur mais trimballe toujours ce visagedepoupon,blondeurinnocente et grands yeux bleus inoffensifs, dents du bonheur dévoilées par un sourire trop permanent pour être sincère ? Certainement pas. Un homme sans relief, sans ancrage et sans histoire, plutôt !
Emmanuel Macron pensait qu’il pouvait agir sans parti, sans élus. Qu’il pouvait mener une campagne présidentielle sans la logistique du PS ou des Républicains, investir des candidats aux législatives sans discuter des alliances possibles avec les états-majors. « Il ne s’arrêtera que dans un mur », pronostiquait le patron du PS, Jean-Christophe
« Nous avons changé le visage de la vie politique française. » Emmanuel Macron, le 23 avril
Cambadélis. Cette sentence disait tout. Oui, Macron irait jusqu’au bout de sa démarche. Mais comme un kamikaze. « Ils pensent tous que je vais me planter » , soufflait l’inconscient.
« Jupitérien ». Lui avait en tête deux tournants historiques : la prise de pouvoir du général de Gaulle en 1945 et le renouvellement spectaculaire de l’Assemblée nationale en 1958. « Une victoire de Macron et c’est la certitude que leur monde va disparaître » , décryptait la députée européenne Sylvie Goulard, pour justifier l’hostilité de la classe politique. Dimanche soir, à 39 ans, Emmanuel Macron, qui a commencé sa carrière politique en entrant à l’Elysée dans l’ombre de François Hollande il y a cinq ans, a réalisé le score de 23,9 % qui le propulse au second tour de l’élection présidentielle face à la candidate du Front national, Marine Le Pen (21,4 %). Réalise-t-il seulement son exploit, lorsque, du balcon de son QG parisien, il lève le poing au ciel ? « En une année nous avons changé le visage de la vie politique française », clamera-t-il deux heures plus tard devant ses partisans réunis porte de Versailles, au soir du premier tour. C’est un fait. Hormis en 1969 et en 2002, le second tour d’une présidentielle sous la Ve République s’est toujours joué avec l’un des deux mastodontes de la droite ou de la gauche. L’édition 2017 sera donc la troisième exception. Sans compter que jamais un candidat aussi novice n’a été si proche de présider le pays. La victoire de Macron ? « Une véritable rupture dans l’histoire de la République française depuis l’après-guerre (…), qui pourrait bien faire voler en éclats toute une configuration politique qui s’est sclérosée au fil du temps entre gauche et droite » , prédit le philosophe allemand Jürgen Habermas dans l’hebdomadaire Die Zeit. « Macron et révolution, c’est un oxymore » , s’enflamme l’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit. Dès la proclamation des résultats, d’Alain Juppé à François Fillon, de Manuel Valls à JeanPierre Raffarin, la quasi-totalité des leaders de la droite et de la gauche républicaine appelait à voter Macron. Dans une allocution solennelle, François Hollande annonçait qu’il voterait lui-même pour son ancien ministre et priait les Français de faire de même. Et lui, Macron, semblait enjamber le second tour pour envisager la suite, une majorité plurielle. « Il me revient de rassembler plus largement encore, de réconcilier pour gagner dans quinze jours et demain, présider notre pays », a-t-il expliqué avant d’aller fêter son résultat à La Rotonde, une brasserie parisienne où il a ses habitudes. « La vie est inventive » , euphémisait notre homme. Et son histoire est insolente.
C’est au coeur du pouvoir qu’Emmanuel Macron est né politiquement. Au sein de la matrice. Et c’est en observant chaque jour celui qui
Il se répète en boucle les mots de Michel Audiard, qu’il adule : « On n’est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs ! »
l’y a propulsé qu’il a défini le président qu’il serait, lui. Son exact opposé. « Un président jupitérien » , ose-t-il désormais. Lorsqu’il entre à l’Elysée, le 15 mai 2012, en tant que secrétaire général adjoint de François Hollande, après avoir été le conseiller économique de sa campagne, Macron est gonflé de grands espoirs. Du haut de ses 34 ans, il embarque pour son premier jour dans l’avion présidentiel, en direction de Berlin, pour une rencontre avec Angela Merkel. « Un coup de foudre » , enjolive-t-il aujourd’hui, frappe l’appareil. L’équipage est contraint de faire demi-tour. Notre homme est superstitieux. Avec Emmanuel Macron, on n’est jamais treize à table. Il refuse pourtant, par optimisme forcené, de voir un signe noir dans cette carlingue trouée.
A l’Elysée, il ne compte pas les heures passées dans son bureau
du 2e étage de l’aile ouest, la fenêtre donnant côté jardin. La tâche est si lourde qu’il choisit de ne pas s’appesantir sur les tergiversations de François Hollande. L’Europe est au bord du crash économique. Le cas de la Grèce divise la France et l’Allemagne. Les réunions s’enchaînent, un jour avec le FMI, un autre avec la BCE ou avec la Commission européenne. Macron s’impose comme un élément indispensable. Cash et rassurant. « A ce moment-là, on sauve la zone euro » , plastronne-t-il. Il faut le voir, cet adepte du tutoiement, dans le film de Patrick Rotman « Le pouvoir », qui retrace la première ann é e du qu i n q u e n n a t . Da n s l’imposant bureau du président, sous les lourdes dorures qui ne l’impressionnent pas plus que son interlocuteur, le voilà qui glisse au chef de l’Etat, à propos d’Angela Merkel : « Elle veut danser le tango
avec toi et elle pense que c’est elle qui doit mettre la jambe droite. Nous, on pense pareil. »
Mais l’insoutenable légèreté du quotidien est difficilement supportable. Le psychodrame provoqué par le tweet de Valérie Trierweiler, la couverture de Closer montrant le président affublé d’un casque de moto se rendant chez sa maîtresse… Et puis les affaires Florange ou Leonarda, Hollande encore, qui se mêle de tout et de n’importe quoi. Sans compter le manque d’audace dans la réorientation européenne, la frilosité au moment de réformer les retraites (la « mère des batailles », dans l’esprit du conseiller)… Macron va de déception en déception. Le chef de l’Etat est plus un commentateur qu’un acteur. Il passe trop de temps avec la presse, ne maîtrise pas sa parole. Avec sa petite bande de l’Elysée, le conseiller en communication Christian Gravel,
le conseiller politique Aquilino Morelle, le secrétaire général adjoint Nicolas Revel, Emmanuel Macron, la nuit tombée, refait le monde en descendant des mojitos. Un jour, il leur glisse la prophétie de Jacques Attali, rencontré en 2008 alors qu’il est membre de sa commission pour la libération de la croissance : « Tu seras président de la République. » Les compères en rigolent, Macron un peu moins. Notre ambitieux se répète en boucle les mots de Michel Audiard, qu’il adule : « On n’est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs ! » , et se détend en écoutant Daft Punk, les célèbres DJ français toujours… casqués.
Auprès de François Hollande, c’est une leçon magistrale qu’il prend en creux. Lui président sera plus proche de la verticalité du général de Gaulle et de la parole rare de François Mitterrand que du bling-bling de Nicolas Sarkozy et, surtout, surtout, de la normalité de François Hollande. « Une présidence de l’anecdote, de l’événement et de la réaction banalise la fonction. Ce type de présidence ne permet pas de se réconcilier avec le temps long et le discours du sens » , résumera Macron en octobre 2016 dans les colonnes de Challenges.
Le secrétaire général adjoint finit par claquer la porte de l’Elysée. Il veut changer de vie, monter son entreprise, donner des cours à Harvard. Ce pays est bloqué et ses dir ig e a nt s n’ ont pas d’ a udace, s’afflige-t-il au moment de plier en quatre son affiche des « Tontons flingueurs » dans un carton. Il ne se rend pas compte de la saveur que prendront un jour les mots qu’il adresse à François Hollande le jour de son pot de départ, le 15 juillet 2014. « Il reste trente-quatre mois, je crois, monsieur le Président de la République. Je ferai tout autre chose, mais je ne serai pas loin. En tout cas, toujours là si vous en avez besoin. Et, à la fin de ces trente-quatre mois, il y aura de nouveaux combats. Et je serai là. A coup sûr » , promet le démissionnaire sous la verrière du jardin d’hiver. Oui, la vie est inventive. Et la politique incandescente. Elle le rattrape plus vite que prévu. La crise de nerfs du ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, fin août 2014, pousse François Hollande à le rappeler. Voilà Emmanuel Macron propulsé ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, à 36 ans.
Plus rien ne l’arrêtera. La veille de sa nomination, il a accordé au Point une interview qui donne le ton, puisqu’il souhaite « sortir du piège » des 35 heures. Les socialistes s’étranglent. « C’est ce jour-là que tout a commencé » , nous glissera-t-il plus tard avec gourmandise. C’est ce jour-là qu’il a fait comprendre qu’il ne se soumettrait à aucun dogme. Ce jour-là qu’il a commencé à jouer sa petite musique. « Disruptive » (il adore ce mot), transgressive. Transcendantale, finira-t-il par théoriser. Dans un gouvernement socialiste, peut-être, mais pas gêné pour s’attaquer au totem le plus emblématique du PS. De cette audace qui ne lui semblait pas folle, mais qui fut accueillie avec rage, émerge la conviction que les appareils tuent les convictions. « Une provocation insupportable » , « une insulte à Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand, Lionel Jospin et Martine Aubry » , entend-il dans les rangs du PS. Même le Premier ministre, Manuel Valls, pourtant d’accord, fondamentalement, avec lui, juge dans le cadre de l’université d’été du PS un an plus tard, alors que Macron vient de récidiver, qu’il n’est « pas question de remettre en cause les 35 heures et le temps de travail » .
« Méfie-toi ! » Décidément, rien n’est possible dans ce carcan des partis. Cela tombe bien. Il n’y a jamais été soumis, encarté deux ans à peine au PS lorsqu’il avait 24 ans. Il est donc libre de s’en affranchir. Le voilà qui enchaîne les déclarations chocs, les « illettrés » de GAD, l’attaque contre les élus, « ce cursus d’un ancien temps » , les jeunes qui devraient « rêver de devenir milliardaires » . Chaque fois, il s’excuse, tempère, modère. On ne l’a pas compris, ce n’est pas exactement
Août 2014. Il déclare vouloir « sortir du piège » des 35 heures. Les socialistes s’étranglent. « C’est ce jour-là que tout a commencé», glisse-t-il.
ce qu’il a voulu dire, c’est hors contexte. Mais il ne retire jamais rien. Ils sont nombreux à commencer à le craindre, les amis de François Hollande en tête. « Méfie-toi ! » lui répètent en boucle les ministres Michel Sapin et Stéphane Le Foll. Le chef de l’Etat ne voit rien venir. « Macron n’est pas un être pervers au sens politique. Ce n’est pas un calculateur, il ne fait pas de coups, il ne lance pas de ballons d’essai » , nous lâche-t-il. Il ne voit pas que, sous ses yeux, Emmanuel Macron s’émancipe.
« Théâtre d’ombres ». L’histoire bascule le 17 février 2015. Ce jour-là, aux nombreuses déceptions de l’Elysée s’ajoute l’ultime frustration. Emmanuel Macron est à l’Assemblée nationale, dans le salon Delacroix qui jouxte l’hémicycle. Il tente d’argumenter une dernière fois avec Manuel Valls. « Ça passe ! » martèle le ministre de l’Economie à propos du vote de sa loi. Il en est persuadé, même s’il commence à comprendre que la partie est perdue. « Cela ne passe pas » , lui rétorque, sévère, le chef du gouvernement. Des semaines que son jeune ministre lui tape sur les nerfs. Son omniprésence médiatique commence à lui faire de l’ombre. Le secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, le patron du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux, le rapporteur de la loi, Richard Ferrand, observent en silence ce duel à fleurets mouchetés. Ce qui se joue est plus grand que le vote de la loi pour la croissance et l’activité préparée depuis des semaines, jour et nuit, par Macron. Lui pense obtenir une majorité, Valls rétorque que, puisqu’il n’est pas sûr, il dégaine le 49.3, cette arme constitutionnelle qui permet de faire adopter un texte sans vote.
C’est un passage en force. Et une humiliation pour Macron. Ses amis le décrivent « irrité » , « blessé » , « frustré » . Il en tire une nouvelle leçon : le monde politique marche sur la tête. « C’est un théâtre d’ombres ! Un jeu de postures ! On est prisonnier des logiques d’appareil » , enrage-t-il. De fait, pendant l’élaboration de sa loi, combien de députés centristes, de l’UDI, des Républicains, sont venus le trouver dans le secret des couloirs de l’Assemblée pour lui glisser : « On voterait bien votre texte, mais on ne peut pas le faire à cause des consignes de vote de nos dirigeants… »
C’est en navette fluviale depuis Bercy, puis par la grille du Coq, au fond du jardin de l’Elysée, réputée pour être un passage secret réservé à ceux qui ne veulent pas se faire voir, qu’Emmanuel Macron arrive à l’Elysée. Le 30 août 2016, sous un soleil tapant, il traverse la pelouse du jardin présidentiel pour rompre. Une séparation qui promet d’être douloureuse. « Je ne peux pas rester. Je ne serai loyal ni au président ni à mes idées » , a-t-il glissé durant l’été à ses amis dans la confidence. Il vient quitter ce président qui lui a mis le pied à l’étrier pour s’envoler vers d’autres sphères. Mais il n’ose pas le lui dire complètement. Malgré tout, son affection pour François Hollande est réelle. Le face-à-face entre les deux hommes, au 1er étage du palais, dans ce magistral bureau qui en a vu d’autres, est électrique. Le président ne rigole plus. Lui, le badin, le taquin, ne cerne pas celui qu’il considère pourtant comme sa créature politique. Il voulait en faire son descendant. Macron refuse l’héritage. « Pourquoi tu pars ? Pour faire quoi ? » interroge Hollande. « Je pars pour m’occuper de mon mouvement, je veux le faire grandir, grossir » , lui rétorque l e démissi onnaire . Le s deux hommes se séparent. Hollande pense toujours que, s’il est candidat à la présidence de la République, Emmanuel Macron le soutiendra. Il se trompe.
Pour le jeune homme, la classe politique ne répond plus aux aspirations du pays. Il veut proposer une nouvelle offre transpartisane. Le « Et de
Les rumeurs les plus folles circulent. Il s’en amuse, se paie le luxe de rendre lui-même publics certains bruits, pour les démentir.
droite et de gauche ! » est né. Il compte bien l’incarner. D’autant qu’il s’estime autrement plus capable que cette « bande d’apparatchiks » qui l’entourent. « Le pays n’a pas ce qu’il mérite » , lâche-t-il alors en privé. « En se comparant aux autres, il s’est dit que le niveau de médiocrité générale lui offrait un créneau » , renchérit Mathias Vicherat, ancien copain de promo de l’Ena. « Son ambition est née d’une frustration. Il était entouré de gens médiocres et il s’est convaincu qu’il pouvait faire mieux qu’eux » , abonde Jacques Attali. Tout le monde loue ce jeune homme qui bâtit son projet sur une conviction : les partis politiques sont morts, il ne reste plus qu’à les enterrer.
Porte-à-porte géant. Fin décembre 2015, Emmanuel Macron réunit dans son appartement privé de Bercy une garde rapprochée qui deviendra le coeur du réacteur d’En Marche ! Des membres de son cabinet ministériel, des anciens strauss-kahniens pour beaucoup, un directeur d’agence de pub… Ismaël Emelien, Benjamin Griveaux, Adrien Taquet, Cedric O, Julien Denormandie, Alexis Kohler, Sophie Ferracci, Sibeth Ndiaye sont autour de la table. « Il faut construire un mouvement qui nous permette de peser dans l’offre politique de la prochaine présidentielle » , leur annonce le ministre. A cette époque, tous parient sur un remake de 2012 qui se jouerait entre François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Ils se lancent, sans savoir réellement dans quel but précis. « On avait une réelle interrogation sur l’écho, la résonance que rencontrerait notre proposition dans le pays » , se souvient Benjamin Griveaux, devenu porte-parole du candidat. Le temps de trouver le nom du mouvement, de déposer les statuts, d’établir les règles de base et, le 6 avril 2016, dans sa ville natale d’Amiens, Macron tient devant ses partisans un discours à huis clos, que les journalistes sont contraints de regarder depuis le parking et sur leur téléphone via la retransmission sur Dailymotion. Le ton est mal assuré, la voix basse, les bras souvent croisés. Mais
le style est là. Macron s’exprime debout, façon stand-up, sans cravate. Ce « mouvement politique nouveau, jure-t-il, qui ne sera pas à droite, pas à gauche » , ne servira pas à présenter « un énième candidat à la présidentielle » .
Pendantquatremois,EnMarche ! envoie des bénévoles aux quatre coins du pays, pour une gigantesque opération de porte-à-porte. Largement moqué pour son côté vintage, l’exercice permet à Macron de faire connaître son mouvement. « Tout le monde pensait qu’on avait monté un think tank pour hauts fonctionnaires, start-uppers et milliardaires, alors que nous étions en train de créer un mouvement de masse » , raconte Griveaux. Un mouvement de masse d’une ambition qui paraît alors démesurée. Macron se paie le luxe de ne pas vouloir se prêter au jeu du programme, « catalogue de mesures » auquel plus personne ne croit. Lui propose « un contrat avec la nation » . « On ne demandait pas au général de Gaulle d’avoir un programme ! » s’enflamme le candidat. Il monte sa sauce aux ingrédients variés, entièrement proeuropéen, pour un renforcement radical du lien francoallemand, économiquement libéral, pro-entreprises, pour l’émancipation par le travail, sociétalement progressiste, favorable à la PMA, à un plus large accueil des réfugiés, opposé à la déchéance de nationalité… Et fait tout pour ne pas avoir à commenter les soubresauts d’une étrange campagne, les affaires Fillon et Le Pen, le chemin de croix que traverse Benoît Hamon. Parce qu’il pense que l’essentiel n’est pas là, mais dans ce changement, dans ce renouvellement des pratiques qu’il propose.
A En Marche ! vient qui veut. De gauche, de droite, de la société civile, des hommes, des femmes. Les circuits traditionnels explosent. Macron a besoin d’argent, il assume les levées de fonds, organise des dîners, de New York à Londres, pour séduire des donateurs. Les rumeurs les plus folles concernant son financement et sa vie privée circulent sur les réseaux sociaux et dans les dîners parisiens. Il s’en amuse, c’est « son hologramme » , tout ça, se paie le luxe de rendre lui-même publics certains bruits, pour les démentir. Il lui faut des candidats aux législatives ? Il lance un casting géant sur Internet. Il suffit de remplir un formulaire pour candidater. Un comité de sélection se chargera du tri. C’est « The Voice » appliquée à la politique, succès d’audience compris. Il expose les heureux élus comme autant de trophées, un ancien patron du RAID, une avocate, un patron de start-up, une ancienne reportrice de guerre…
L’affiche détonne et séduit. Le 10 décembre 2016, la campagne de Macron atteint son acmé. Le candidat réunit porte de Versailles 15 000 personnes. Ses adversaires tombent des nues, ils n’ont rien vu venir. « Les classiques comme moi ont du mal à croire au phénomène Macron, mais c’est parce qu’on n’a jamais vu ça. C’est un candidat sans parti et, on ne va pas faire semblant, il y a du monde, il y a de la curiosité. C’est déroutant » , analyse alors le conseiller politique de Manuel Valls Yves Colmou, qui en a vu d’autres, lui qui fut chef de cabinet de Michel Rocard à Matignon, puis directeur de cabinet adjoint de Lionel Jospin, à Matignon toujours.
Power Ranger. Ce jour-là, Emmanuel Macron conclut son discours en transe, hurlant à ses partisans : « Votre responsabilité, c’est d’aller partout en France pour le porter [le projet] et pour gagner ! Ce que je veux, c’est que vous, partout, vous alliez le faire gagner parce que c’est notre projet ! » La Toile s’empare de la séquence pour la détourner. Le lendemain, le candidat retrouve sa garde rapprochée pour un débriefing dans son bureau du 15e arrondissement de Paris. Griveaux, Emelien et les autres lui repassent la séquence. « Ah ouais, j’ai tout donné hier… J’ai l’air d’un dingue ! » s’exclame Emmanuel Macron, avant de visionner les parodies. Macron en Power Ranger, Macron en Dragon Ball Z, Macron en Superman…
Jusqu’aux derniers jours de la campagne, c’est à un candidat hilare, chaque fois, que son état-major envoie par SMS tous les détournements qui tournent sur les réseaux sociaux, jusqu’aux plus improbables ( « Parce que c’est notre broooccchet » , barrant une photo du candidat portant un gigantesque brochet). De fait, Macron est fier de la rage qu’il a mise ce jour-là dans son intervention. Ses multiples autres discours seront plus posés, plus réfléchis, au point qu’il en gagnera l’image d’un homme tiède, qui ne sait pas trancher, qui est d’accord avec tout le monde. Monsieur « En même temps ! » . Mais c’est précisément sur le concept que les bonnes idées viennent de partout qu’Emmanuel Macron a fondé sa stratégie. En passe d’être gagnante