Le Point

Bitterlich : « Il peut rétablir la confiance avec l’Allemagne »

Pour l’ancien conseiller de Helmut Kohl, souvent décrit comme le plus français des Allemands, c’est en France que se joue l’avenir de l’Europe.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PASCALE HUGUES (À BERLIN)

Quelle est votre réaction à l’issue du premier tour ? Joachim Bitterlich :

Depuis quinze ans, pour la première fois j’ai à nouveau l’espoir d’une relation de confiance entre Allemands et Français. Emmanuel Macron présente un programme prudent, proeuropée­n. En même temps, il veut changer le système par étapes. Une entreprise hautement complexe, à suivre à partir des élections législativ­es au mois de juin. Les dirigeants allemands le connaissen­t. Angela Merkel et Sigmar Gabriel, l’ancien ministre de l’Economie, ont travaillé avec lui quand il était à l’Elysée et à Bercy. Ils sont conscients qu’en ce qui concerne la relation francoalle­mande et l’Europe Emmanuel Macron est beaucoup plus sérieux et engagé que ses deux prédécesse­urs. Une chose est claire : c’est en France que se joue ces jours-ci l’avenir du couple franco-allemand et de l’Europe tout entière. Mais il faut être prudent, car Macron aura besoin de se mettre sur les rails. L’heure de vérité pour lui sonnera à l’automne avec le budget. Les autres partis ne lui feront pas de cadeaux, et certains d’entre eux, je l’espère, seront disposés à coopérer. De plus, pour relancer l’Europe, il va falloir attendre les élections allemandes du 24 septembre etlenouvea­ugouvernem­ent.Donc,patienter, peut-être de manière utile, en lançant d’ici au début du mois de décembre une initiative en matière de défense.

Si Emmanuel Macron est élu, qu’est-ce qui risque de changer entre la France et l’Allemagne ?

Celui-ci sera évidemment le fruit d’un compromis entre Berlin et Paris. Le courant a de bonnes chances de passer entre Macron et Merkel. Et, même si le SPD remporte les élections, c’est parfaiteme­nt possible. Par ailleurs, jusqu’à présent je n’arrive guère à croire au phénomène Schulz [NDRL : la star montante de la social-démocratie allemande qui tiendra tête à Angela Merkel dans la course à la chanceller­ie]. L’euphorie a été jusqu’à présent de courte durée, comme les sondages le démontrent.

Est-il imaginable que le 24 septembre on assiste à un effondreme­nt de la CDU et du SPD, les deux grands partis traditionn­els allemands, comme c’est le cas en France avec Les Républicai­ns et le PS ?

Non, un tel scénario est impossible en Allemagne ; les deux tiers des électeurs voteront soit CDU, soit SPD. Ces deux grands partis allemands couvrent largement l’échiquier politique, du centre droit au centre gauche. L’érosion, voire l’implosion des deux grands partis français me choque, mais c’est le résultat des vingt dernières années ! François Fillon a trop compté sur le mouvement catholique, qui a été la clé de son succès à la primaire. Il s’est trompé. Beaucoup de gens l’ont lâché en raison des « affaires », surtout les plus jeunes. Jean-Luc Mélenchon, en revanche, a attiré les jeunes autour d’un programme utopique, loin des réalités. Les jeunes ont laissé tomber le PS. Jean-Luc Mélenchon n’est toutefois pas comparable avec Die Linke [NDLR : la gauche de la gauche] allemande, un parti beaucoup plus réaliste que lui. La gauche française a perdu la classe ouvrière, qui vote aujourd’hui en bonne partie FN.

Même quand Gerhard Schröder a lancé son vaste programme de réformes, l’Agenda 2010, le SPD, très critiqué et délaissé par une partie de ses membres et de ses électeurs, n’en a pas moins conservé un socle électoral de 25 à 30 %. Ce socle est resté stable en dépit de désertions en direction de Die Linke, mais a us s i d e l ’Af D, l e pa r t i d ’ e x t r ê me d r o i t e Joachim Bitterlich Ancien sherpa internatio­nal de Helmut Kohl. Enseignant à l’ESCP Europe. Nos problèmes ont commencé avec Jacques Chirac, qui ne fut pas un grand partisan ni du couple francoalle­mand ni de l’Europe. Il faisait les choses à sa façon, au coup par coup. La relation avec Nicolas Sarkozy fut plutôt difficile pour les Allemands. Quant à François Hollande, il était quelque part prisonnier de lui-même et c’est peut-être parce qu’il avait peur de son propre parti qu’il n’a pas osé lancer de grande initiative commune avec Angela Merkel. J’ai l’espoir qu’avec Emmanuel Macron, un homme plus sobre et très européen, nos deux pays pourront enfin parvenir à développer un véritable agenda commun.

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