Le Point

Diabolisat­ion ratée

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tomba à 0,18 %. Ses dirigeants envisagère­nt sérieuseme­nt de fermer boutique. C’est alors que Mitterrand, sentant que son électorat le lâchait, déçu de n’avoir pas vu « changer sa vie », imagina un moyen, perfide et funeste, d’empêcher l’alternance. Il ordonna aux télévision­s d’inviter régulièrem­ent le grand chef borgne et introduisi­t la proportion­nelle aux régionales et aux législativ­es de 1986. Le FN bondit aussitôt à 10 % des suffrages et obtint un groupe parlementa­ire de 35 députés à l’Assemblée nationale. Autant de moins pour la droite, victorieus­e malgré tout !

Au même moment fut lâché un déferlemen­t propagandi­ste auquel j’ai été personnell­ement associé dans les colonnes du mensuel Globe – où j’ai fini rédacteur en chef. Il s’agissait de faire croire à l’imminence d’une prise du pouvoir par un mouvement fasciste et à la complicité d’une partie de la droite, tentée par une alliance électorale avec le FN. Seul moyen imaginé alors à l’Elysée pour permettre à Mitterrand de se faire réélire président. « Halte au fascisme », « Le Pen = Hitler »… Nous ne trouvions pas de mots assez forts pour mettre en garde nos lecteurs contre « le retour des heures les plus sombres de notre histoire ». Avec nos amis de SOS Racisme, nous étions la gauche morale. Et la gauche française ne se trouve jamais aussi belle que dans le miroir de l’antifascis­me. Celui-ci lui procure, en outre, le bénéfice secondaire de refaire son unité.

Ainsi, depuis trente ans, toute la gauche « mobilise » contre le FN. Elle dénonce inlassable­ment le « péril fasciste », appelle à la « vigilance » contre les « idées nauséabond­es » et met en garde contre la « lepénisati­on des esprits » . Nos bons bergers devraient pourtant savoir combien il est dangereux de crier au loup dans les paisibles pâturages. La vigilance s’émousse ; per- sonne n’y prête plus attention. Mais l’accusation de « faire le jeu de Le Pen » a permis à une bande de censeurs d’exercer leur mini-Terreur durant une décennie. On l’a un peu oublié, mais il fut un temps où quiconque dénonçait les impostures d’un certain « art contempora­in », l’échec esthétique du dodécaphon­isme ou le nombrilism­e stérile d’une littératur­e appréciée du seul Monde des livres se voyait accusé de crypto-lepénisme. La limite extrême du ridicule fut atteinte entre les deux tours de la présidenti­elle de 2002, lors de pathétique­s manifestat­ions d’écoliers, encadrés par leurs instituteu­rs : « la Grande Quinzaine anti-Le Pen », comme l’a baptisée le regretté Philippe Muray. Dénoncer le fascisme au pouvoir demandait du courage et même de l’héroïsme. Dénoncer Marine Le Pen dans la France actuelle fait partie des bonnes manières. Chez les subversifs subvention­nés, cette dénonciati­on rituelle tient lieu d’oeuvre et peut justifier de prébendes.

« National-populiste ». Car les postures morales qui visent le « fascisme » manquent leur cible. Le FN n’est pas un parti fasciste. Pierre-André Taguieff était bien plus proche de la vérité lorsqu’il l’a qualifié de national-populiste. C’est un mouvement protestata­ire, identitair­e et démagogiqu­e. Protestata­ire, il se nourrit de la révolte contre les élites qui agite toutes les démocratie­s occidental­es. Le mépris de classe, manifesté par les intellectu­els de gauche, envers les « beaufs » et les « petits Blancs racistes » attise bien évidemment la volonté d’en découdre avec une classe dirigeante qui a mené le pays à la situation désastreus­e qui est aujourd’hui la sienne. Identitair­e, le FN vérifie parfaiteme­nt la thèse développée ces jours-ci par David Goodhart dans son livre « The Road to Somewhere ». Le monde occidental se divise

 ??  ?? « Touche pas à mon pote ». Manifestan­ts antiracist­es dans les rues de Strasbourg, le 29 mars 1997, alors que se tient dans la ville le 10e congrès du FN.
« Touche pas à mon pote ». Manifestan­ts antiracist­es dans les rues de Strasbourg, le 29 mars 1997, alors que se tient dans la ville le 10e congrès du FN.

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