Gianfranco Fini : « Pour l’Europe, je redoute la victoire de Le Pen »
L’ancien leader de la droite nationaliste italiennne juge le FN.
Quel regard portez-vous sur le Gianfranco Fini fasciste des années 1970-1980 ? Gianfranco Fini :
C’était il y a trente ans, une éternité ! Le monde a changé depuis. Mais déjà, alors que j’étais secrétaire du MSI, nous utilisions le terme « postfasciste » pour nous situer vis-à-vis de Mussolini. Cela voulait dire que nous étions projetés vers le futur. Nous l’avons démontré lors du congrès de Fiuggi, en 1995, qui a signifié la fin du MSI et la naissance d’un parti, Alliance nationale, qui avait fait de l’antifascisme une valeur fondamentale. Je vous laisse imaginer les controverses que cela avait provoquées dans notre famille politique !
Si les cadres du MSI ont tourné la page à l’époque de Fiuggi, la base n’est-elle pas restée nostalgique du fascisme ?
Non. La mutation a été profonde et le temps a fait son oeuvre. Nombre de ceux qui ont vécu Fiuggi sont morts ou ne font plus de politique. Les jeunes militants exaltés sont devenus adultes. Et certaines attitudes de la droite radicale d’aujourd’hui, le souverainisme ou le refus total de l’immigration, n’ont rien à voir avec le postfascisme du MSI. Une défense de l’identité qui se base sur la lutte contre l’immigration est un phénomène qui ne concerne pas seulement la droite et pas seulement l’Italie. C’est un mouvement qui dérive de la globalisation et de la confusion entre nationalisme et patriotisme. Le patriotisme est un devoir pour tous les citoyens, le nationalisme implique une présomption de supériorité sur les autres peuples. Si la gauche, en France comme en Italie, est en crise quand elle est confrontée au défi de l’intégration des migrants et de la société multiethnique, c’est parce qu’elle a encore une culture de lutte des classes. Ce n’est plus l’opposition entre le capital et le travail, l’ouvrier et le patron, mais la lutte entre les derniers niveaux de l’échelle sociale – les chômeurs, les précaires, les retraités modestes – et les migrants. Une lutte de classes entre pauvres.
Quelles ont été vos relations avec le FN ?
Durant la dernière phase du MSI, quand son leader était Giorgio Almirante, puis quand je lui ai succédé, nous avons eu un rapport étroit avec le Front national de Jean-Marie Le Pen. Après les élections européennes de 1984, nous avons fait un groupe commun au Parlement de Strasbourg. Les liens se sont interrompus avec la naissance d’Alliance nationale et je n’ai jamais rencontré Marine Le Pen. Je suis fier, malgré les erreurs que j’ai commises, d’avoir fait naître en Italie une droite qu’on pourrait définir en France proche de la famille du néogaullisme. Et c’est là que s’est faite la rupture avec le FN.
Le FN de Marine Le Pen a-t-il fait son aggiornamento, son congrès de Fiuggi ?
Tout d’abord, Marine Le Pen n’a pas changé le nom du parti ; c’est symbolique. Fiuggi a permis à de nombreuses personnalités qui n’avaient jamais milité dans l’extrême droite de nous rejoindre. Mais chaque pays a son histoire politique. Marine Le Pen ne devait pas forcément faire comme en Italie. Elle a commis un parricide politique en excluant Jean-Marie Le Pen et a cherché à en finir avec la nostalgie de Pétain, de la collaboration et de l’OAS. Reste à savoir si elle a réussi. J’ai été surpris par sa déclaration sur l’absence de responsabilité de l’Etat français dans la rafle du Vél’d’Hiv. Le Front national de Marine Le Pen est différent de celui de son père. Elle a changé le programme, la communication, a démontré sa capacité à séduire un électorat antifasciste, mais ce n’est pas un « autre » parti.
Vous avez vécu dans la peau d’un politique jugé infréquentable par ses pairs à cause de l’étiquette fasciste. Si Marine Le Pen l’emporte, sera-t-elle pestiférée en France et à l’étranger ?
Il n’existe pas de « monstre » en politique, surtout s’ils arrivent au pouvoir en gagnant les élections. Ceux qui tiendraient Marine Le Pen pour un monstre devraient prendre acte que la majorité des Français sont des monstres. C’est la présomption de la gauche caviar, qui se sent dépositaire de la vérité. Certes, pour la France, la victoire de Le Pen provoquerait sans nul doute une période de turbulences. En tant qu’Italien européiste, je redoute sa victoire pour l’UE, qui a atteint un niveau de crédibilité très bas. Même si je ne suis pas certain que Le Pen abandonnerait l’euro et l’Union