Philippe Raynaud : « Pour la droite, il est naturel de gouverner »
Comment expliquer l’absence de la droite au second tour ? Philippe Raynaud :
Par plusieurs raisons, la première étant que Les Républicains se sont enfermés dans une identité de droite, en oubliant la vieille rhétorique gaulliste sur l’alliance entre un homme et un peuple, qui a finalement été reprise par Macron, qui est peut-être sur ce point le plus gaulliste des candidats. Dès le début, surtout, ils ont mal analysé la mécanique de la primaire. Si Fillon a été désigné, c’est qu’il y a eu au point de départ une erreur d’analyse de Juppé et de Sarkozy. Ceux-ci ont cru être dans une situation analogue à la primaire socialiste de 2012, où l’enjeu était pour la gauche de choisir un candidat qui batte Sarkozy dans le cadre d’une alternance traditionnelle entre deux partis forts. Il fallait pour cela un candidat fédérateur, et c’est Hollande, le plus modéré, qui avait été choisi. En 2016, avec la quasi-certitude d’avoir Marine Le Pen au second tour et le discrédit apparent du Parti socialiste, le contexte de la primaire de droite était cependant très différent : les électeurs de droite pensaient qu’ils n’auraient pas à affronter la gauche, et ils ont finalement choisi le candidat qui proposait le programme le plus clairement libéral et conservateur – ce qui n’avait été prévu ni par Juppé, qui a choisi la voie du centre droit, ni par Sarkozy, qui a repris une partie de la rhétorique de 2007 pour assécher l’électorat FN. Mais Fillon a ensuite commis une erreur typique de son camp : croire que la France était massivement à droite et que l’élection lui était donc acquise. Or la mobilisation contre la loi El Khomri montre bien que les Français sont majoritairement méfiants devant la libération du marché du travail et qu’ils n’accepteront pas aisément un programme libéral-conservateur tel que l’a proposé Fillon. De plus, il n’est pas possible d’assimiler purement et simplement le Front national à la droite. Ce parti n’a pu s’installer dans le paysage politique qu’en reprenant une partie non négligeable du dis- cours social de la gauche et en abandonnant ses références les plus extrêmes à droite.
Mais en quoi est-ce une erreur typique de la droite ?
Le problème constant de la droite française depuis la Restauration est de penser spontanément qu’il est naturel qu’elle gouverne, car elle est fondamentalement majoritaire, si ce n’est dans le pays légal, du moins dans les profondeurs du pays réel. Elle accepte, certes, le régime représentatif et le suffrage universel, mais elle est toujours dans l’illusion que, si les choses se passaient normalement, elle devrait être au pouvoir. Or, si l’on fait les comptes, elle ne l’a été que rarement depuis 1830 : la IIIe République a fonctionné sur la marginalisation de la droite, et sous la IVe le pouvoir s’est partagé entre des gouvernements de coalition dans lesquels la droite n’était pas toujours majoritaire. C’est de Gaulle qui l’a portée au pouvoir, mais avec une idéologie unanimiste qui refusait officiellement l’opposition droite-gauche. En fait, structurellement et culturellement, la France est à gauche. Et elle n’a pas totalement changé. Professeur de sciences politiques à l’université Paris-II. Auteur de « L’esprit de la Ve République » (Perrin).
Le PS n’aura pourtant pas de candidat au second tour… Cette élection présidentielle ne remet-elle pas en question le système des partis luimême, au-delà de la personnalité des candidats ?
Elle marque la fin du système partisan qui s’est mis en place à partir de 1981. La France a en effet connu sous Mitterrand un réalignement électoral progressif qui a mis fin au système de « quadrille bipolaire » favorisé par le scrutin majoritaire à deux tours ; s’opposaient alors deux choix de société fondamentaux représentés par deux blocs de deux partis : le PC et le PS d’un côté, le RPR et l’UDF de l’autre, pour simplifier. Le PC et le PS devaient s’associer pour arriver au second tour, et, comme le PC faisait peur, le PS perdait : cela a permis à la droite de rester au pouvoir. En 1981, si Mitterrand accède à l’Elysée, c’est qu’en fait le PC s’est déjà affaibli et que les électeurs