Quel sens pour l’Occident ?
L’écrivain a suivi la présidentielle française à Berlin. Il y a constaté combien la France reste centrale dans l’imaginaire occidental.
Dimanche matin. Journée d’avril à Berlin sous un ciel changeant comme un sondage (métaphore consacrée désormais). C’est là, dans le Théâtre MaximeGorki, écoutant un Allemand s’inquiéter du sort de l’Europe et du noyau dur France-Allemagne, que le chroniqueur prend soudain conscience, presque à vif, de l’immense enjeu de la présidentielle française. La routine médiatique, des habitudes d’analyses et d’affects ont lentement poussé à traiter cette élection comme un spectacle, une scène d’essai politique, et à s’attarder sur son vaudeville. Mais la zapping attitude a fait oublier l’essentiel : si la France tombe dans le giron de l’extrême droite, la conséquence sera énorme pour l’Europe, l’Occident aussi, et pour le pays du chroniqueur, le Sud tourmenté, le Maghreb et le monde dit arabe. Du coup, audelà de l’humour, de l’affection ou de la douce moquerie, qui teintent l’appréciation que porte le commun sur ce pays proche de tous, loin de tous, il s’avère que cette nation justement est une capitale symbolique du monde, brutalement révélée à l’heure de sa possible perte. Si ce pays tombe entre les mains de l’extrême droite, le retentissement sera énorme, car la France est un pays du haut symbole politique. Il est le lien « organique » avec l’Afrique, dans le malaise ou la sublimation, le lieu de passage entre les grands flux migratoires Sud/ Nord, le sas où se décident les sens d’ouverture et de renfermement sur soi. La France est un vaste pays symbolique dans les imaginaires de l’Histoire, des relations culturelles internationales, dans le souvenir des enthousiasmes et des révolutions, dans ce malaise face aux colonisations et mémoires, et dans sa possibilité de rendre visible soit la rupture, soit la communauté. Obscurément, après les Etats-Unis, c’est le pays où se décide le sens de l’altérité.
Tombé dans les mains de l’extrême droite, il donnera l’ultime carte blanche aux autres courants du genre en Europe, consolidera les positions des courants islamistes chez nous, au sud, mettra fin à l’illusion d’une possibilité de salut solidaire et accentuera la rupture ravageuse. C’est parce que le capital symbolique de ce pays est énorme que Daech y décide de ses spectacles sanguinaires et aime y frapper au coeur de l’Occident, car c’en est le coeur justement. Pays de migrants, de rencontres, de déclarations, de désillusions, d’illusions à défendre et de passages. La France est donc l’Occident, c’est la longue histoire de l’Occident dans les imaginaires modernes : plus que l’Allemagne ou que les Etats-Unis d’Amérique.
Vu de près, le jeu politique en France se révèle à la mesure des siens : décevant, radicalisé, décomplexé dans ses maladies au nom de l’identitaire, hésitant sur les « solutions » et les « problèmes », cantonné à un casting par défaut entre le fervent du baroud d’honneur, le croisé sans croix, la fausse doublure de Jeanne d’Arc ou le renouvellement par le dauphin, et cela déçoit ou fait grimacer chez les plus sourcilleux. Impression légitime quoique sévère car les présidentiables français ont un peu déçu. Sauf que dans le cas du jour il s’agit d’une élection qui les dépasse. Et si les candidats sont parfois légers, la présidentielle française, elle, est très lourde. Elle résume les maladies de l’époque et l’urgence qu’il y a à les guérir, et pas par des charlatans et des crieurs publics.
On y vote surtout, et au-delà de soi, le sens de l’Occident pour le reste du monde. Au risque de tomber dans l’emphase
Cette élection résume les maladies de l’époque et l’urgence qu’il y a à les guérir, et pas par des charlatans et des crieurs publics.