« Massacre à la tronçonneuse », version XXIe siècle
Dans « Get Out », un jeune Noir tombe aux mains de suprémacistes blancs. Enorme succès aux Etats-Unis, il suscite aussi la polémique.
Aux Etats-Unis, c’est le phénomène que personne n’a vu venir : depuis sa sortie, le 24 février, « Get Out », petit film d’épouvante produit pour moins de 5 millions de dollars, en a rapporté 170 sur le sol américain. Avec un sujet explosif abordé frontalement par son réalisateur afro-américain Jordan Peele : un racisme de l’Amérique bourgeoise blanche. L’intrigue part d’une situation identique à celle de « Devine qui vient dîner ? », avec Sidney Poitier. Dans « Get Out », c’est un jeune photographe noir nommé Chris (Daniel Kaluuya) qui doit passer le week-end dans la maison de campagne cossue des parents de sa petite amie Rose Armitage (Allison Williams). En apparence, RAS : les Armitage sont une famille libérale aisée de la côte Est, dont le père est neurochirurgien et la mère psychiatre. Mais, après les salamalecs d’usage, un malaise va gagner Chris au détour de certaines réflexions déplacées quant à sa couleur de peau, ses supposées qualités physiques, tandis que les deux domestiques (noirs) ont un comportement de plus en plus anormal. Le jeune homme finit par découvrir l’horrible vérité qui se cache sous le vernis civilisé, mais il est trop tard pour s’enfuir. Difficile d’en dire plus sans tuer la surprise de ce thriller élégant, malin, à l’humour grinçant, qui rappelle « Rosemary’s Baby », « Les femmes de Stepford » (équivalent féministe de « Get Out », sorti en 1975) et « Massacre à la tronçonneuse ». Salué unanimement par la critique, « Get Out » a fait grincer les dents de nombreux Blancs aux Etats-Unis, qui lui ont reproché d’être « anti-Blanc », de véhiculer lui aussi un « racisme » et d’inciter à la violence dans sa dernière partie saignante axée sur la vengeance. Sous le divertissement, le film ne joue-t-il pas quand même avec le feu ? « C’est vraiment n’importe quoi, s’insurge Jason Blum, producteur comblé spécialisé dans les films d’épouvante low cost rentables au centuple (“Insidious”, “Paranormal Activity”…). J’imagine que ce racisme-là existe aussi, mais en accuser le film est ridicule. Aux Etats-Unis, ce sont d’abord et avant tout les Afro-Américains qui vivent le racisme au quotidien. Le réalisateur Jordan Peele a voulu sensibiliser le jeune public, celui qui va voir les films d’horreur au cinéma, à ce que ressentent les Noirs confrontés à ce racisme, qui peut aller de microréflexions anodines à des choses plus graves. »
Cauchemar. Agé de 38 ans et issu d’un mariage mixte, Jordan Peele, qui s’est d’abord fait connaître comme auteur de sketchs télévisés au sein du tandem Key & Peele, a écrit le scénario de « Get Out » en imaginant une situation qui pourrait être « son pire cauchemar » . Blum affirme quant à lui avoir « sauté sur ce script, voilà dix-huit mois, parce que je n’avais jamais lu un truc aussi original : un film d’horreur sur le racisme et dont le héros est noir. C’était futé et il y avait un bon potentiel commercial » . Ecrit bien avant l’élection de Donald Trump, « Get Out » a cependant « certainement profité du contexte actuel, où le public est plus réceptif à un tel sujet » , recon-
naît Blum. Démocrate convaincu, le producteur aime financer des films d’épouvante « à message » (« The Bay », la trilogie « American Nightmare »…). « Get Out », nous dit-il, reflète l’état d’esprit pessimiste de ses concitoyens sur le mal éternel de la société américaine : « J’ai été bien naïf de croire, comme beaucoup, que voter Obama ferait refluer le racisme aux Etats-Unis. C’est le contraire qui s’est produit pour des raisons que je ne m’explique toujours pas » , ajoute-t-il. Pour lui, « Get Out » ne doit pas être vu comme un appel à la violence, mais comme une oeuvre de pédagogie : « J’étais inquiet des réactions qu’il allait susciter, parce que ce film est dans une ligne “Malcolm X” plutôt que “Martin Luther King”, mais les gens en retirent ce que Jordan souhaitait : il faut faire davantage attention à ce que vivent certaines personnes aux Etats-Unis. » On est curieux de savoir comment il sera reçu en France dans un contexte électoral tendu. « Get out » sort en effet entre les deux tours Sortie le 3 mai.