Marine Le Pen, les limites d’une ambition
Forte de son score historique, elle aspire à rassembler au-delà de son électorat. En est-elle capable ?
Marine Le Pen est au second tour, derrière Emmanuel Macron, et nous reviennent en mémoire ces propos de JeanMarie Le Pen. Nous sommes en 2016. Un crachin tombe sur La CelleSaint-Cloud et fait reluire le front du banni, debout en son jardin, au milieu de ses deux lévriers des Baléares, pour une séance photo. Le « président d’honneur » a mis sa parka favorite, rendue célèbre le 1er mai 2015, lorsqu’il s’invita à la tribune du rassemblement place de l’Opéra, sous le regard noir de sa fille, qui l’a ensuite comparé à une « petite Femen ». N’était sa couleur rouge, cette parka serait son étendard. Soudain, à notre départ, il nous agrippe l’avant-bras, comme s’il voulait nous confier une dernière chose, ce détail qui a son importance. « Si Marine veut gagner, je vous le dis, il va lui falloir revenir à des notions plus originelles, taper fort. Nous sommes de droite, nos voix sont à droite. Car la monnaie ! les taux d’intérêt ! les marchés ! – il rit de ses intonations et s’amuse toujours d’entendre sa fille disserter sur l’économie, elle qui fut si médiocre en maths – … tout ça, c’est fait pour s’acheter une respectabilité auprès de vous, les médias. » Il rajuste ses lunettes, qui, de près, lui font de petits yeux. « N’est-ce pas ? Je peux dire que les militants n’ont pas apprécié, non seulement la manière dont elle m’a traité, mais
en plus les distances qu’elle a prises vis-à-vis de l’héritage de son parti. » Qui mieux que lui connaît le FN, la sociologie militante et la demande qui en découle ? Qui mieux que Marine Le Pen sait que son père, quand il s’agit de stratégie électorale, ne dit pas toujours des bêtises ? Elle n’est pas arrivée en tête de ce premier tour, et c’est pour elle une déception, en dépit d’un score élevé, supérieur à celui de 2012 (18 %). Deux ans que les sondages la positionnent en tête, largement. Ces derniers jours de campagne ont montré qu’elle savait se muer en femme de droite, de la plus vieille école, quand les circonstances l’exigeaient, et abandonner ses références à Jaurès et ses propos sur l’islam « compatible avec la République ». Mais il était trop tard…
En l’observant dimanche, en l’écoutant poser les bases de ce qui sera le débat de cet entre-deux-tours, plus ou moins de mondialisation, une certitude se dégage : il ne faut pas compter sur elle pour douter, comme le fit son père en 2002, soudain pris d’un vertige émotionnel. Car il est un point qui les distingue et qui de ce seul fait marque une rupture majeure entre eux, peutêtre la plus importante : son envie à elle de gagner ; son envie à lui d’être un histrion. Il faut la croire lorsqu’elle affirme avoir en tête son gouvernement, son agenda et ses priorités. C’est le résultat d’une préparation, d’un concours de circonstances et de la médiocrité adverse. C’est l’histoire d’une prestidigitatrice, « bourgeoise » – dixit son père –, devenue « Marine », tout simplement, pour un peuple de travailleurs relégués et précarisés, ou tout bonnement au chômage. Alliance qu’on croyait contraire entre l’agriculteur de droite et l’ouvrier de gauche. Entre le retraité propriétaire de Menton et le tourneur-fraiseur smicard d’Arras. Elle leur a fait croire qu’elle était des leurs, les a confortés dans leur détestation d’un système étrangleur dont elle est
Elle s’est essayée à la respiration, au recentrage intérieur, selon des méthodes zen.
pourtant une composante. Certes, mais argument des arguments : elle n’a jamais exercé le pouvoir. « On veut l’essayer », disent ses électeurs qui, avant elle, ont essayé Mitterrand et Sarkozy.
Nous étions en 2016. Marine Le Pen clamait son désir d’une « France apaisée » et s’affichait partout en 4 x 3, le visage doux et bienveillant, le regard au loin, sans frontières. Elle avait théorisé la guerre civile, les fractures françaises, la crainte des attentats et les tensions sociales dues aux foucades sarkozyennes, puis au vote d’un mariage pour tous voulu par Hol- lande. Elle-même avait conscience de ne pas seulement diviser, mais de faire peur. Encore et toujours, cette peur qu’elle inspire, malgré la dédiabolisation (partielle) du FN et la diabolisation des autres partis, qui ont eu leur lot d’affaires judiciaires et de renoncements. Leur Cahuzac et leur Bygmalion. Elle s’est essayée à la respiration, au re- centrage intérieur, selon des méthodes zen. Elle a tenté de sourire, de s’ouvrir. D’être aimable, de ne pas agresser ses interlocuteurs, même quand ils sont journalistes et portent des Stan Smith. Difficile, éminemment difficile, d’autant plus quand la nicotine manque et qu’il lui faut se rabattre sur cette cigarette électronique qui n’est pas toujours le meilleur des palliatifs. C’était en 2016, et elle venait de châtier ceux des candidats aux départementales qui avaient cru bon de publier des images ou des propos racistes et antisémites sur leur compte Facebook. Elle l’a fait et fait savoir, naturellement, au nom du ripolinage.
Les gudards. Elle sait que son parti aimante encore les « fachos », comme disent les « gauchos ». Elle voulait être Merkel – son père trouve qu’elle lui ressemble –, avant d’être Trump. Comment espérer être majoritaire à soi seule quand on refuse les alliances, quand on veut sortir de l’euro et qu’on doit gérer les xénophobes qui passent entre les mailles du filet ? Parfois, elle soupire, lasse, ne sachant que faire pour remédier à ce sombre attrait qui pourrait un jour lui être fatal. « Je ne peux pas contrôler la vie de tous ceux qui adhèrent à notre mouvement », s’agace-t-elle. En revanche, les gudards, Frédéric Chatillon, Philippe Péninque et Axel Loustau, sont là et bien là, eux dont
Elle voulait être Merkel – son père trouve qu’elle lui ressemble –, avant d’être Trump.