Le Point

Hervé l’Africain

- Patrick Besson

Il y a les gens qui sont allés en Afrique et ceux qui n’en sont pas revenus, même quand on les retrouve, pour déjeuner ou prendre un verre, dans un établissem­ent parisien. Ils portent le continent sur eux comme un manteau, ou plutôt un burnous. Ils ont, au fond des yeux, un grand soleil éteint qui se rallumera, tel un néon, dès qu’ils poseront le pied dans un gros-porteur d’Air France à destinatio­n de Brazzavill­e, Dakar ou Tunis. Je connais quelques anciens d’Afrique : militaires, vétérinair­es, diplomates, journalist­es, enseignant­s. La plupart d’entre eux sont atteints d’une tristesse lente, comme des exilés d’un pays qui pourtant n’est pas le leur. La chose qui donne autant de fièvre que le paludisme : la nostalgie.

En 1970, Hervé Bourges fonde à Yaoundé (Cameroun) l’Ecole supérieure internatio­nale de journalism­e, qui formera, jusqu’en 1981, 252 journalist­es. Dans son « Dictionnai­re amoureux de l’Afrique » (Plon, 25 euros), l’auteur évoque ses tendres années noires. Etre jeune, c’est bien, mais être jeune en Afrique, c’est la fête, surtout quand on a la chance de ne pas être africain. « Lorsque la nuit tombait, le centre [de Yaoundé] se trouvait subitement désert, le coeur de la ville battait alors plus fortement dans les “quartiers” : (…) le petit taxi jaune, rapide, pratique, sinon confortabl­e, vous emportait vers Nokondo-Palladium Bar ou Briqueteri­e-Taxi Bar ou autres enseignes qui invitaient à l’oubli, à la fête et à la fraternité. »

Auparavant, Hervé Bourges a vai t f a i t part i e des « pi e ds rouges », ces Français de tous bords mais surtout de gauche – beaucoup d’entre eux étaient communiste­s, ainsi que le raconte la jeune romancière Anne-Sophie Stefanini dans son livre « Nos années rouges » (Gallimard, 16 euros) – qui vinrent, après la signature des accords d’Evian (18 mars 1962), construire avec les Algériens l’Algérie antifrança­ise. L’auteur quitta son poste de rédacteur en chef de Témoignage chrétien pour intégrer le cabinet d’Ahmed Ben Bella avant que le coup d’Etat du 19 juin 1965 n’envoie celui-ci en prison pour quinze ans. Cette fonction étaitelle une bonne préparatio­n à la présidence de TF1, que Bourges assurera par la suite ? Je me souviens qu’à l’époque j’étais surpris par la lenteur, la finesse et la décontract­ion de ses réponses dans les entretiens qu’il accordait à sa chaîne ou à une chaîne concurrent­e. C’étaient celles d’un chef d’Etat dépossédé, quoique encore sous le charme du fleuve Nyong.

Quelques bizarrerie­s dans ce fort et passionnan­t volume (665 pages) que tous les amoureux d’Afrique auront soin d’acquérir pour y plonger avec beaucoup de rhum et un peu de chikwangue. A côté des beaux portraits des écrivains congolais Henri Lopes et Alain Mabanckou, pas une ligne sur leur maître Sony Labou Tansi (de son vrai nom Marcel Ntsoni, ce qui était moins bien). Huit pages sur les éléphants et trois et demie sur l’esclavage : l’inverse aurait mieux valu. Bourges aime les éléphants. Parce qu’il en est un ? Une notice sur Gary, qui n’a, malgré son Goncourt africain (« Les racines du ciel »), guère marqué le continent. Bourges écrit : « Certains linguistes rappellent que le mot esclave vient de slave » , sans préciser que « slavia » , en russe comme en serbe, signifie « gloire »

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Hervé Bourges, ancien « pied rouge ».

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