Le Point

Populisme : après le raz de marée

S’il a diminué, le danger extrémiste n’a pas disparu en 2017. Il s’agit maintenant de ne pas lui abandonner le monopole de l’espoir.

- Par François Lenglet

La

politique connaît elle aussi des phénomènes de marées, montant si haut qu’elles donnent le sentiment de ne pas pouvoir être contenues. Alors qu’elles finissent par se retirer. Ainsi le populisme a-t-il connu son équinoxe avec l’élection de Donald Trump, en novembre 2016 – la plus grande démocratie mondiale atteinte à son tour. Mais, depuis, les populistes accumulent les vestes. En France, bien sûr, avec une défaite sans appel lors de la présidenti­elle, d’autant plus cinglante qu’elle a été infligée par le candidat qui concentrai­t tous les travers de l’élite honnie : énarque, banquier, mondialist­e et européen. Il ne lui manquait que d’être franc-maçon.

Echec aux Pays-Bas, quelques semaines auparavant, où Geert Wilders rate son coup au profit de la droite classique. Echec en Autriche, lors de la présidenti­elle. Echec au Royaume-Uni, où l’Ukip, l’extrême droite britanniqu­e, a été ratatinée lors des législativ­es de juin. Echec en Allemagne, où l’AfD s’est désintégré­e lors des élections régionales récentes, et où elle ne semble pas en mesure d’entraver la reconducti­on prochaine d’Angela Merkel, malgré les circonstan­ces exceptionn­elles dont rêverait tout parti populiste – un afflux considérab­le de réfugiés.

Echec encore aux Etats-Unis, non pas électoral celui-ci, mais politique, avec le bilan du premier semestre de Trump, qui se clôt sur un renoncemen­t en matière fiscale – la taxe aux frontières est abandonnée. Sur le triomphe du Nord-Coréen Kim, qui tire un missile interconti­nental dès qu’il organise un barbecue dans son jardin, au nez et à la barbe de la première armée du monde. Sur le fiasco de la réforme de la santé, sur le grand bazar à la Maison-Blanche. Sans oublier la perspectiv­e désormais certaine d’une enquête sur les liens entre Trump et le pouvoir russe. Le président américain n’a plus l’air ni dangereux ni même scandaleux. Il semble tout bonnement incompéten­t.

En 2017, la marée populiste a donc reculé. Est-ce à dire que les causes qui l’avaient amenée aux portes du pouvoir cèdent du terrain, elles aussi ? Pas du tout. La crainte de l’immigratio­n, la menace terroriste, les technologi­es et la mondialisa­tion qui bouleverse­nt l’emploi, rien de tout cela n’a changé. Quant à la reprise économique, à laquelle on supposait le pouvoir de faire rentrer le populisme dans son lit, elle est bien là,

Comme jadis le danger communiste, le populisme peut être l’aiguillon d’un nouveau réalisme politique.

mais toujours avare, distribuan­t ses fruits de façon inégale, en donnant le plus à ceux qui ont déjà beaucoup. Avec des emplois, certes, mais aussi avec des salaires médiocres et des durées de travail réduites.

Si les populistes ont reculé, ce n’est donc ni parce que les questions qu’ils portent – souvent les bonnes – ne se posent plus, ni parce qu’ils ont réussi à mettre en oeuvre leurs solutions – elles sont bien souvent impraticab­les ou saugrenues. C’est parce que la classe politique dite traditionn­elle a enfin bougé.

Soit qu’elle ait entendu la demande de protection des citoyens, comme au Royaume-Uni, après le vote du Brexit qui a transformé l’offre politique de tous les partis classiques. Soit qu’elle ait subi un profond renouvelle­ment. C’est bien sûr ce qui s’est passé en France, où les élections primaires, conçues par les partis pour légitimer leurs chefs dans la course à la présidenti­elle, ont été utilisées par les électeurs justement pour les dégommer, et où 70 % des députés élus en juin sont des « primo-accédants ». On n’a pas vu une Assemblée nationale aussi renouvelée depuis la Constituan­te de l’après-guerre.

A suivre le philosophe François Ewald, c’est la question du réalisme en politique qui est posée par l’irruption des populistes. Alors que ces nouveaux acteurs ignorent bien souvent la réalité, qu’ils contestent l’expertise, en particulie­r l’exper- tise économique, parce qu’il y voient l’expression déguisée des intérêts des élites, les partis traditionn­els adoptent l’attitude opposée, semblant idolâtrer un réel impossible à changer ou surdétermi­né par l’extérieur – par l’Europe, la mondialisa­tion, la nécessité de se financer avec des capitaux internatio­naux, etc. Pour eux, l’art de gouverner consiste non pas à transforme­r le réel, mais à en faire une pédagogie laborieuse, souvent contradict­oire avec les discours exaltés et mensongers de la campagne électorale qui ont permis de prendre le pouvoir. D’où l’essor des Le Pen et de leurs épigones.

Jusqu’où faut-il être réaliste ? C’est la question politique d’aujourd’hui, dans la France de Macron comme dans les pays voisins. Ne pas l’être conduirait à l’échec ou à l’isolement, c’est la route mélenchoni­ste vers le Venezuela de Chavez et Maduro, et son chaos sanglant. Pour autant, l’être de façon trop étroite ramènerait immanquabl­ement la marée rouge-brun à un niveau élevé, parce que ce serait laisser aux populistes le monopole de l’espoir.

Le danger populiste, s’il a diminué, ne disparaît donc pas. Il restera au moins un aiguillon, pressant les partis politiques au pouvoir sur leur stratégie et leurs résultats. Un peu comme le danger communiste, avant la chute du Mur, avait poussé les pays capitalist­es au compromis et leur avait fait inventer la social-démocratie

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Les trois moustiquai­res.

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