Admirée ou conspuée, la figure de l’Incorruptible ne cesse de nous hanter.
En 2016, le psychanalyste Gérard Miller avait passé à la question Jean-Luc Mélenchon à propos de Robespierre. Qu’aurait-il fait s’il s’était trouvé à son côté le jour de son arrestation, le 10 thermidor 1794 ? Il l’aurait convaincu, avait-il répondu, d’appeler à l’insurrection du peuple. Car ce renoncement – « s’insurger, au nom de qui ? », aurait répliqué l’Incorruptible alors qu’on lui suggérait de réagir – demeurait pour lui l’énigme majeure. « Un ressort physique a dû se briser, il n’a plus rien à dire. » C’est un lieu commun que de constater combien, depuis la campagne de 2012, le leader de la France insoumise a convoqué l’imaginaire révolutionnaire et sa vedette, « exemple et source d’inspiration ». Mais l’aveu de son incompréhension suggère bien a contrario que le véritable héritage de Robespierre, c’est, jusqu’à ce 10 thermidor, son volontarisme, cette formidable énergie jacobine déployée pour balayer un monde ancien. La projection rétroactive d’un politique qui, à l’heure où l’Etat, selon lui, baisserait les bras, entend ramasser le flambeau d’une volonté et d’une puissance.
Robespierre n’est pas mort. C’est le constat que dressent deux universitaires, Marc Belissa et Yannick Bosc, dans un ouvrage panoramique, « Robespierre. La fabrication d’un mythe » (Ellipses, 2013). Dans leur périodisation de cette construction très ancienne, les années 2000 marquent d’ailleurs la possibilité d’un retour de l’Incorruptible sur le devant de la scène après une brève éclipse. Un retour toujours clivant, dont 2011 fut le meilleur exemple. Lorsque le ministère de la Culture préempta chez Sotheby’s divers manuscrits de Robespierre pour la somme de 750 000 euros, financée à hauteur de 100 000 euros par une souscription, on cria au scandale dans les rangs de la droite. Pour Jean-Clément Martin (« La fabrication d’un monstre », Perrin, 2016), ce clivage commence dès le jour de l’arrestation de Robespierre. Ses anciens compères montagnards Billaud-Varenne et Tallien dénoncent le tyran, le nouveau Cromwell ou Catilina. « Vous l’entendez, le monstre ? Il nous traite d’assassins » , rétorque Tallien en pleine Convention lorsque Robespierre apostrophe en vain Collot d’Herbois : « Président d’assassins, me donneras-tu la parole ? » Il est le bouc émissaire idéal : célèbre, mais isolé. Leader jalousé, il attire toutes les critiques dans un univers paranoïaque et complotiste où ses alliés vont le charger de tous les maux pour mieux se racheter une virginité. Dans « Robespierre, portraits croisés » (Armand Colin, 2014), Michel Biard nomme ce phénomène « la double mort de Robespierre ». Quelques jours après son exécution, Tallien fait inscrire dans la loi le terme de Terreur à laquelle la Convention aurait mis fin, l’associant à l’avocat d’Arras. Une « invention politique », encore présente dans les esprits, qui assoit cette légende d’un homme à qui on prête soudain toutes les vilenies : devenir roi, vouloir épouser la fille du souverain, avoir décidé du populicide vendéen. Les pamphlets pleuvent sur un homme qu’on peint au phy-