Le Point

Diabolique Atwood

Consacrée par « La servante écarlate », la Canadienne livre une nouvelle utopie noire.

- PAR SOPHIE PUJAS

Voilà plusieurs décennies qu’elle joue avec nos peurs. Et, à bientôt 78 ans, la Canadienne Margaret Atwood n’est pas du genre à se tourner vers le passé. Plutôt à scruter le futur d’un oeil vigilant – pour ne pas dire un brin parano. Est-ce d’être fille d’entomologi­ste et d’avoir grandi dans les forêts de l’Ontario qui l’ont rendue méfiante vis-à-vis de ses frères humains ? C’est à elle qu’on doit « La servante écarlate » (Robert Laffont), fable orwellienn­e qui met en scène une société totalitair­e où la stérilité est quasi

Atwood persiste et signe avec « C’est le coeur qui lâche en dernier ». C’est peu dire que sa vision de l’homme n’a pas gagné en optimisme. Dans une Amérique gangrenée par la crise, Stan et Charmaine, autrefois représenta­nts sans histoires de la classe moyenne, vivent dans leur voiture. Ils se voient offrir une chance inespérée : intégrer la résidence Consilienc­e, société miniature coupée du reste du pays. Ils habiteront un pavillon doté de tout le confort. Seule condition : alterner entre l’American way of life et des périodes où ils travaillen­t et logent en prison, un mois chacun. Un prix modeste à payer pour retrouver les joies d’une société d’abondance, pensent-ils. La transparen­ce et l’obéissance aveugle aux règles du lieu sont de mise. Chacun abdique en douceur sa liberté, tout en évitant de poser les questions qui fâchent. Stan et Charmaine s’abandonnen­t à cette routine, jusqu’au jour où Stan se met à fantasmer sur la femme qui vit en alternance dans leur appartemen­t, et dont il ignore à peu près tout. On se gardera bien de révéler les détours inattendus empruntés par la redoutable Margaret Atwood, adepte des rebondisse­ments narquois. On croisera aussi bien des robots sexuels que des sosies d’Elvis. Dans son jeu de massacre, Atwood s’amuse beaucoup, et son lecteur avec elle.

S’il n’a pas toujours la puissance de « La servante écarlate », ce récit grinçant et retors ferait la matière parfaite d’une série à suspense… Ça tombe bien : les droits ont été achetés par MGM Television. Même Netflix mise sur le filon Atwood : « Alias Grace », adaptation en mini-série de l’un de ses romans (« La captive »), sera diffusé dès septembre. Il y sera question d’une domestique accusée de meurtre dans l’Australie du XIXe siècle. L’auteure, qui a collaboré à l’adaptation, devrait y faire une brève apparition. Comme dans « La servante écarlate », où on la voit frapper l’héroïne. 78 ans, et encore le goût du jeu et le sens du clin d’oeil frappant

« C’est le coeur qui lâche en dernier », de Margaret Atwood, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch (Robert Laffont, 450 p., 22 €).

 ??  ?? Best-seller. En France, « La servante écarlate » s’est déjà vendu à près de 50 000 exemplaire­s. Prolifique. Parmi la quarantain­e de livres qu’elle a publiés, on compte des essais, de la poésie, des nouvelles et une vingtaine de romans. Apocalypti­que....
Best-seller. En France, « La servante écarlate » s’est déjà vendu à près de 50 000 exemplaire­s. Prolifique. Parmi la quarantain­e de livres qu’elle a publiés, on compte des essais, de la poésie, des nouvelles et une vingtaine de romans. Apocalypti­que....

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