Recherche Kate désespérément
Aux Rencontres d’Arles, il faut aussi voir les mystérieuses photos de Kate Barry, disparue brutalement en 2013.
Pas moins de 17 500 visiteurs lors de la semaine d’ouverture, en juillet, soit 15 % d’augmentation par rapport à l’an dernier, les Rencontres ont du succès. L’offre est large, avec des dizaines d’expositions. Citons les Gorgan, famille rom photographiée pendant vingt ans par Mathieu Pernot, « Le spectre du surréalisme », une coproduction avec le Centre Pompidou, les visions crépusculaires du fabuleux Masahisa Fukase ou les architectures graphiques de l’intime des villes de Michael Wolf. Mais il en est une, vraiment singulière, sise dans un lieu hanté par l’Histoire, l’abbaye de Montmajour. L’héroïne en est Kate Barry, photographe connue pour son travail sur et avec la mode, portraitiste délicate à laquelle faisaient régulièrement appel les magazines.
Kate Barry, fille de Jane Birkin, soeur aînée de Charlotte Gainsbourg et de Lou Doillon, fille du compositeur John Barry, belle-fille de Gainsbourg, est morte, suicide ou accident, en tombant d’un 4e étage en 2013. Ce saut de la mort avait mis un point final à un projet d’exposition dont seule Kate avait la clé. Une énigme. Jusqu’à ce qu’en véritables détectives Fanny Escoulen et Diane Dufour – directrice du BAL, l’espace photo parisien qui produit l’expo hors de ses murs – mènent l’enquête. Que voulait faire Kate avec ces boîtes contenant des dizaines de planches-contacts dont le centre est évidé ? « Nous avons trouvé 300 de ces photos avec la part manquante, ni datées ni localisées, explique la directrice du BAL. Elle réalisait des prises de vue au cours de ses déambulations, voyages, errances, sans sujet. C’est le miroir d’un état psychologique. » L’autre piste suivie par les enquêtrices est le voyage que la photographe effectue en compagnie de l’écrivain Jean Rolin à la recherche d’une autre femme singulière, Flannery O’Connor, l’auteur des nouvelles « L’habitude d’être ».
Les commissaires ont repris fort justement ce titre pour l’expo de Kate. Elle et Jean cherchaient ses traces à Savannah (Jean Rolin en fera un récit paru en 2015 chez POL) et à Milledgeville, la ville de son enfance. Elle filme avec ses téléphones ou photographie. Quoi ? « Des presque-riens, ses bottines, des petites choses qui résistent au sol, plantes, racines, pierres tombales, escaliers, arbustes, l’herbe qui s’immisce entre des dalles… » Se glisser, résister, prendre place. Dans l’exposition, on retrouve les mails que Kate envoyait à son ami l’éditeur Léo Scheer : « Je ne sais pas si c’est le fait de grandir
« J’ai photographié tout le temps, des petites choses, des choses que nous avons sous nos pieds, de celles que nous voyons tous les jours, des jours ordinaires. » Kate Berry
dans une famille d’actrices qui a rendu l’idée de la solitude si éprouvante. Je viens d’une famille d’actrices, de mon arrière-grand-mère à ma grand-mère, de ma mère à mes soeurs. Mon père, la musique qui les accompagne. Qui accompagne toutes ces histoires racontées, tous ces rôles joués. C’est une histoire de famille où le regard de l’autre s’est toujours posé, s’est toujours joué, s’est toujours mesuré. » Des citations de Serge, son beau-père : « Je te connais comme si je t’avais défaite. » L’amour toujours, à jamais. « Nous avons monté l’expo avec la famille et les rushes du film avec Jean Rolin. Kate avait un regard de sculptrice, et une forme de jouissance de la matière se fait sentir à travers ces images dont la composition est instinctive. »
Kate Barry aimait rire et faire la fête. Elle cherchait à trouver sa place, comme ces herbes qui poussent entre les dalles, parfois gaie, telle cette robe rouge qui vole autour de ses jambes. En sortant de l’abbaye de Montmajour, la beauté sèche du paysage pierreux continue le voyage de Kate à la recherche du sens perdu. Elle écrivait : « Ça vit autrement, les pierres. »