Valérie Pécresse, fine mouche de la droite La patronne de l’Ile-de-France renonce à la présidence des Républicains pour fonder son mouvement, Libres !. Objectif 2022 ?
« Mon slogan pour la région “conquérante, exemplaire, réconciliée” serait un beau message pour la France »…
Tant pis si elle a dû interrompre temporairement ses vacances en haute Corrèze. Si elle a dû avaler 500 kilomètres en voiture pour rallier « son » Ilede-France au petit matin, ce jeudi 3 août. Emmanuel Macron s’est organisé une journée coup de com avec les enfants de l’île de loisirs de Moisson, dans les Yvelines, soutenus par le Secours populaire et la Fondation PSG, et il était inimaginable pour Valérie Pécresse de ne pas tenir sa place au côté du chef de l’Etat. Toujours derrière son épaule, toujours devant les caméras. Quand il mouille la chemise en s’essayant au handball, elle est au premier rang. Lorsqu’il se réjouit de l’arrivée de Neymar au PSG devant Nasser al-Khelaïfi, elle acquiesce en souriant. Quand il est innocemment questionné par ces enfants qui ne peuvent pas partir en vacances sur ses revenus, sa femme ou sa voiture blindée, elle rit de toutes ses dents. Le moment est convivial… et ô combien politique.
Quelques heures après le départ du président de la République, elle dégaine son smartphone, ouvre
Twitter et répond à Emmanuel Macron, qui salue l’initiative : « N’oublions pas toutes les collectivités qui financent les actions sociales avec les associations : il ne faut pas leur couper les vivres ! » Quelques secondes plus tard, arrêtée sur une aire d’autoroute, elle nous retrace sa journée. Elle embraie sans préambule : « J’ai dit au président qu’il fallait féliciter les territoires au moment où le gouvernement veut baisser les dotations. Si ces gosses peuvent profiter de vacances, c’est parce qu’on a mis les moyens à la région ! »
Le message est on ne peut plus clair : Valérie Pécresse, forte de son mandat, entend bien endosser la position de première opposante à Emmanuel Macron. Sur du concret, du palpable : à l’échelle territoriale.
« L’Ile-de-France, c’est son terrain de jeu, résume le vice-président du conseil régional d’Ile-de-France Geoffroy Didier. Elle essaie sans cesse d’innover, elle lance des grands projets structurants comme la rénovation des grandes lignes de RER. Elle renonce à la présidence du parti pour ne pas se laisser distraire dans ses objectifs, qui auront un impact réel sur la vie des gens. » Ce qui peut, aussi, laisser le champ libre à Laurent Wauquiez pour s’emparer du parti au congrès de fin d’année…
Un renoncement pas si naturel pour Pécresse… Officiellement, hantée par le duel sanglant entre Fillon et Copé, elle ne souhaitait pas se lancer dans une guerre des chefs. Officieusement, Pécresse hésitait. Beaucoup. Au point de consulter, tout au long du mois de juin, ses proches et ses collaborateurs, dont la grande majorité lui déconseillait de se lancer. « Valé- rie, c’est une boxeuse. Ça la démangeait vraiment, souffle l’un de ses fidèles. Quand en plus l’équipe Wauquiez envoyait des textos pour nous dire que l’affrontement serait violent, elle n’avait qu’une envie, c’était d’aller au combat. » Fin juin, elle reçoit un soutien explicite : Xavier Bertrand annonce dans Le JDD qu’il ne briguera pas le poste et appelle sa candidature de ses voeux. Le tandem des deux chefs de région s’est formé durant la campagne présidentielle, au moment où François Fillon était au plus mal, à la veille du meeting du Tro-
« Je souhaite faire vivre ce mouvement au sein des Républicains, mais si ce n’est pas possible, je ne m’interdirai rien… »
cadéro : ensemble, ils ont testé sa ténacité, mais aucun ne lui a demandé formellement de renoncer. Aujourd’hui, pas un ténor n’ose affronter Laurent Wauquiez, mais Xavier Bertrand tente de l’envoyer au casse-pipe : « Elle n’a pas été consultée et n’a pas apprécié qu’il lui balance la patate chaude, confie un proche collaborateur. Elle l’a pris comme une fourberie, mais elle n’est pas tombée dans le piège ! »
Le parti étant imprenable, Valérie Pécresse imagine alors un autre moyen d’exister à l’échelle nationale : le lancement, le 10 septembre, d’un grand mouvement, baptisé Libres !. C’est à la mode… « Je m’inspire de la démarche de Ségolène Royal en 2006 avec Désirs d’avenir et du parcours d’Emmanuel Macron. Ils ont démontré que la créativité et l’agilité sont dans les mouvements d’idées et plus dans le cadre sclérosé des partis, lâche-t-elle, fine mouche. Je souhaite faire vivre ce mouvement au sein des Républicains, mais si ce n’est pas possible, je ne m’interdirai rien …» prévient-elle, volontairement évasive mais délibérément menaçante. Le message est directement destiné à Laurent Wauquiez, dont la ligne, « conservatrice » , « identitaire » et « nostalgique », l’inquiète au plus haut point.
« Pécressisme ». « Ça ressemble franchement à un lot de consolation, faute de n’avoir pu concourir à la présidence, persifle-t-on dans le camp Wauquiez. Son mouvement sera difficilement perçu comme autre chose qu’un élément de division. » En particulier dans une famille politique bonapartiste, grandement attachée à la figure du chef. « J’ai pris ma décision quand un grand nombre d’élus sont venus me dire que, si Les Républicains se radicalisaient, si on ne leur permettait pas d’être à nouveau fiers d’être de droite en parlant écologie, social, Europe, ils quitteraient le navire, rétorque-t-elle. Je refuse la scission de notre famille. »
Biberonnée au chiraquisme, puis, par la force des choses, tour à tour sarkozyste, juppéiste et loyale filloniste dans la descente aux enfers, Valérie Pécresse est désormais « affranchie de toute relation d’affiliation, depuis sa conquête de la région » , dixit sa vice-présidente, Agnès Evren. « Mais elle doit maintenant mettre en forme une colonne vertébrale, créer un ciment » , analyse le jeune député maire de Juvisysur-Orge, Robin Reda. Qu’est-ce donc que le « pécressisme » ? En septembre, quelques semaines avant la primaire de la droite, elle confiait déjà au Point sa vision d’une « société libérée » , libérale sur le plan économique, récompensant le travail mais protectrice des plus vulnérables. Du Chirac 2.0.
Aujourd’hui, les lignes ont bougé. La native de Neuilly-sur-
Seine a des airs de « Macron de la rue de Vaugirard » . Située entre les Constructifs, à sa gauche, et Laurent Wauquiez, à sa droite, elle multiplie inconsciemment, malgré son discours ultrarodé sur ses racines gaullistes, les « en même temps » . « Je veux une droite forte et en même temps une droite humaine » ; « une droite enracinée dans ses valeurs et en même temps une droite progressiste et moderne » ; « une droite qui reconnaît les racines chrétiennes de la France et en même temps profondément laïque » . Tout n’est pas lim- pide, mais peut-être – sûrement – garde-t-elle des munitions pour le lancement de Libres !. Un mouvement dont les contours sont tenus secrets, mais dont le format promet d’être innovant. « Ne vous attendez pas à une succession de longs discours prononcés par des chapeaux à plumes » , finit par lâcher son entourage.
« Le plan de Valérie, son créneau, c’est la droite qui gagne et qui rassemble, indique Geoffroy Didier. Au coeur de sa communication politique, il y a la façon dont elle a remporté, seule, cette région sociologiquement à gauche : en rassemblant, du MoDem jusqu’au Parti chrétien-démocrate. » Une majorité territoriale qui, en Ile-de-France, a résisté au remodelage politique de la présidentielle : si les cadres nationaux du MoDem et de l’UDI ont rejoint Macron, les élus régionaux sont, quant à eux, restés chez Pécresse. Et qui sait où seront les centristes à la fin du quinquennat ?
Cambouis. Pour le moment, Valérie Pécresse concentre ses efforts pour rassembler toutes les chapelles qui existent au sein des Républicains. Côté Juppé, Dominique Bussereau sera de la partie : « Si la démarche de Valérie échoue, il sera peut-être temps pour nous de voguer vers d’autres cieux » , glisse l’ancien ministre des Transports. Parmi les fillonistes, l’ex-ministre des Sports Jean-François Lamour soutient également la « forme de liberté qu’elle acquiert et sa voix différente au sein du parti ». Enfin, dans le giron sarkozyste, Eric Woerth pourrait aussi répondre à son appel. Enfin, elle a pris soin d’accompagner la génération montante des municipales 2014… « Elle a été très présente sur le terrain, elle a mis les mains dans le cambouis quand d’autres se cachaient en attendant la défaite. Très tôt, elle a eu envie de se constituer une génération Pécresse… » confessent à l’unisson plusieurs de ses soutiens.
Comment ne pas imaginer, alors, que Valérie Pécresse pose les premiers jalons d’un destin national ? « Mon slogan pour une Ile-deFrance “conquérante, exemplaire, réconciliée” serait un beau message pour la France » , laisse-t-elle même échapper. 2022 sera la dernière chance des « quinquas » : si Laurent Wauquiez fait le pari du parti comme son second mentor, Nicolas Sarkozy, Pécresse, elle, sait qu’elle devra miser, comme aujourd’hui, sur sa région. Sur sa « politique par les preuves » , comme elle aime tant le dire. Finalement, pour elle, tout se jouera en 2021. Geoffroy Didier le synthétise ainsi : « Aujourd’hui , elle est puissante. Mais, si elle gagne à nouveau les régionales, elle sera incontournable. »