Le Point

Comment « macroniste » est devenu une insulte

- H. D.

dizaines de messages menaçants dont le caractère antisémite et sexiste ne fait pas l’ombre d’un doute (voir page précédente). « Je savais qu’il y avait un fond latent d’antisémiti­sme, mais je n’y avais jamais été confrontée avant d’entrer dans la vie publique, relate l’élue. Cet antisémiti­sme s’appuie sur une vision basique : les juifs seraient dans des lieux de pouvoir. Une fois que l’exposition médiatique a cessé, je n’ai plus eu à subir d’insultes. » L’élue, qui a porté plainte, attend que l’enquête soit clôturée dans les semaines à venir, car, « tant que la justice n’aura pas posé de limites, la parole restera très libérée », explique-t-elle. Pour l’heure, les condamnati­ons pour incitation à la haine sont encore rares

« Ça ne fait pas partie du job de se faire menacer de viol ou de cassage de gueule ! » Aurore Bergé (élue des Yvelines)

La scène se déroule un mercredi de janvier. Dans un café parisien, un client courroucé d’avoir trop attendu son déjeuner accuse le serveur d’être un « macroniste » . Le rapport avec son plat ? Aucun. Ce trentenair­e, professeur d’EPS dans un lycée de banlieue et fervent mélenchoni­ste, nous explique utiliser cette insulte à toutes les sauces. L’anecdote pourrait faire rire si elle n’était pas révélatric­e d’une inquiétant­e évolution sémantique : dans certains milieux, le nom du président est devenu une insulte. Elle comporte des variantes selon le contexte ou les personnes qui la prononcent. Elle est par exemple précédée de l’adjectif « sale » lorsqu’elle est lancée par des gilets jaunes au milieu d’autres noms d’oiseau et quolibets sexistes à l’encontre d’Ingrid Levavasseu­r, gilet jaune qui a voulu monter une liste aux européenne­s avant de rétropédal­er face au torrent d’insultes et de violence dont elle a été victime. Elle est précédée des termes « grosse » et « négresse » sur un site Internet d’extrême droite lorsqu’elle vise la députée LREM du Lot Huguette Tiegna. Elle se suffit à elle-même lorsque elle est prononcée par certains députés centristes qui reprochaie­nt à leurs collègues constructi­fs d’avoir rallié l’ennemi LREM en 2018. L’utilisatio­n de ce nouveau nom d’oiseau est corrélée avec des témoignage­s de haine totalement inédits à l’encontre d’un président : menaces d’aller le chercher à l’Elysée ainsi que son épouse, poupées à son effigie décapitées, guillotiné­es, brûlées. Mais pourquoi tant de haine ? Ses ennemis avancent souvent un problème de légitimité. A droite, on explique par exemple qu’il a volé l’élection de Fillon. A gauche, qu’il est le président le plus mal élu de l’histoire de la Ve République. Les gilets jaunes évoquent aussi l’arrogance, le mépris de classe, les petites phrases qui lui échappent. Au fond, cela touche peutêtre à la passion française pour l’égalité : il s’agit d’imprimer quelques cicatrices sur le cuir de ce jeune président talentueux qui semble n’avoir jamais connu ni les épreuves ni les échecs. Pour que, enfin, il puisse ressembler aux Français

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