L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
A la fin des fins, quand les sociétés se délitent et que plus rien ne vaut rien, tout est toujours la faute du juif. Le mauvais temps, la rougeole du petit, la hausse du Nutella, etc.
Mais qu’arrive-t-il à la France ? C’est la question qui venait à l’esprit de toute personne sensée en découvrant, samedi dernier, les images d’Alain Finkielkraut injurié, boulevard du Montparnasse, à Paris, par une bande de forcenés.
Devant ce spectacle, comment ne pas avoir envie de pleurer de rage, de chagrin, sur le cadavre de la douce France ? Il paraît qu’il ne faut pas stigmatiser ni faire d’amalgame, comme disent les culs bénis de la bien-pensance qui, du Monde à Mediapart, n’ont cessé de se surpasser en matière de déni. Mais ils auront beau dire, rien ne peut plus cacher la haine islamiste en marche.
Les offenses faites à Alain Finkielkraut par ces faux gilets jaunes ne relèvent pas du fait divers. C’est un tournant sociétal, historique. Une catharsis qui permettra au pays de se reprendre s’il a le courage, ce qui reste à prouver, de tirer les leçons des braillements proférés : « Sale sioniste de merde » , « La France est à nous » , « Barre-toi » , « Tu vas mourir » , « Dieu va t’punir » , etc.
Que serait-il arrivé à Alain Finkielkraut s’il n’y avait pas eu, à proximité, des CRS et des vrais gilets jaunes pour l’exfiltrer ? On n’ose y penser. Aujourd’hui, en France, un juif a encore sa liberté de penser, mais l’on est en droit de se demander s’il n’a pas perdu la liberté de circuler, comme au temps du IIIe Reich ou du faux paradis d’Al-Andalus.
Le concert d’insultes est la première étape du processus. Ensuite vient le pogrom, auquel, au train où vont les choses, il faut se préparer. Là encore, il y aura beaucoup de monde pour relativiser, minimiser : des pétochards, des islamo-gauchistes, des collabos, tous héritiers de la France mollasse, celle qui se vautre aujourd’hui, toute honte bue, dans la soumission.
La bonne conscience de ces compagnons de route donne une idée de l’infini. Ils se disent volontiers antisionistes et non antisémites, comme si ce n’était pas la même chose ! Enfant de l’antisémitisme, Israël, leur cible obsessionnelle, a accueilli au siècle dernier des cohortes de survivants de la Shoah, qui ont pu s’y reconstruire. Aujourd’hui, l’antisémitisme qui gangrène la France et une partie de l’Europe justifie pleinement l’existence de l’Etat hébreu, que les salafistes et leurs idiots utiles, les islamo-gauchistes, veulent rayer de la carte.
L’ignorance encyclopédique de toute cette mouvance lui a permis de répéter sans vergogne un gros mensonge qui, à la longue, est devenu une vérité historique : Israël serait une terre arabe qui aurait été récemment envahie et occupée par les juifs. Un conte à dormir debout. Depuis trois millénaires, c’est au contraire une terre juive qui a régulièrement été conquise et dévastée – par les Arabes, notamment – à maintes reprises.
Pour preuve, avant la création de l’Etat hébreu, en 1948, les juifs s’appelaient les Palestiniens et leur drapeau national arborait une étoile de David, tandis que le grand journal juif s’appelait le Palestine Post. La grande erreur des juifs aura été de changer de nom en revenant à celui d’Israël : ils ont ainsi perdu la bataille des mots, permis aux Arabes de s’approprier le terme historique de Palestine et laissé la voie libre à la désinformation.
Dans la foulée, une autre révolution sémantique s’est produite : le mot antisémitisme, trop sulfureux depuis le nazisme, a été remplacé par celui, presque neuf, « vierge » en somme, d’antisionisme. Mais tous les antisionistes, qui appellent par définition à la destruction d’Israël, sont des antisémites. Ce sont les mêmes, avec la même bave aux lèvres.
Un sondage Ifop révélait, l’autre semaine, que 22 % des Français croient à un complot sioniste mondial, sur le modèle des « Protocoles des sages de Sion », un faux écrit en 1901, qui se présente comme un plan de conquête de la planète par les juifs et les francs-maçons. Ce livre est encore beaucoup lu dans les pays arabes, d’où, soit dit en passant, les juifs ont été chassés alors qu’ils y étaient souvent installés depuis l’Antiquité, bien avant les conquêtes musulmanes d’Afrique du Nord, au VIIe siècle. D’où la nécessité vitale d’Israël.
On connaît la blague : « Connaissez-vous au moins une seule démocratie dans le monde arabe ? demande l’un.
– Je donne ma langue au chat, répond le second, après réflexion.
– Eh bien, Israël, voyons ! »
N’oublions jamais de nous souvenir de la vraie nature d’Israël à un moment où l’antisémitisme et l’antisionisme, peste et choléra, gangrènent le monde arabe et la vieille Europe ■