Le Point

Les stagiaires - Ce qui cloche en macronie

Légèreté. Sécurité, économie, projets de réformes… Ce qui cloche en macronie.

- PAR ERWAN BRUCKERT, OLIVIER PÉROU ET MARC VIGNAUD, AVEC HUGO DOMENACH

Si le président de la République a maintenu son rendez-vous avec l’aréopage conscienci­eux de soixante érudits ce lundi 18 mars, c’est certaineme­nt pour signifier que le violent acte XVIII, embrasant une fois encore les Champs-Elysées, ne méritait pas que l’on renonce à penser notre pays et son avenir. Pas sûr, toutefois, que le message fonctionne, tant la collision frontale des images paraît fatale. D’un côté, la capitale en flammes, des pavés arrachés, une banque brûlée, des blessés, des kiosques à journaux ravagés ; de l’autre, le président s’accordant un week-end de ski sur la poudreuse du domaine de La Mongie. L’articulati­on est désastreus­e, même si ceux qui vilipenden­t la parenthèse privée décrivaien­t, voilà peu, un chef de l’Etat exsangue, irascible, épuisé. « Depuis début décembre, il est au contact, sur le terrain. Qu’il soit à La Mongie ou à l’Elysée, ça change quoi ? Il est tenu au courant heure par heure de la situation ! Vous voulez quoi ? Qu’il fasse un burn-out ? Un AVC ? » tempête ainsi François Patriat, le patron des sénateurs de la majorité. Près de deux ans après son arrivée au pouvoir, l’escapade – écourtée – d’Emmanuel Macron n’a rien de condamnabl­e, mais elle interroge sur sa capacité à tirer les leçons de son expérience. En termes d’image, mais surtout dans la connaissan­ce de ses équipes… et de leurs limites : « Si l’ordre public avait été maîtrisé, aurait-on parlé de Macron au ski ? rétorque un membre de son premier cercle. S’il a été contraint de revenir, c’est que la maison n’a pas été tenue en son absence, qu’il n’a été protégé ni par son ministre de l’Intérieur ni par son Premier ministre. » Aux termes d’un grand débat national globalemen­t positif pour l’exécutif, ce weekend de dysfonctio­nnements témoigne d’un pouvoir peu expériment­é, fragile, insuffisam­ment profession­nel. L’Etat serait-il aux mains de stagiaires ?

Doutes. S’il en est un qui n’a pas encore validé ses acquis, c’est bien Christophe Castaner. Ses péripéties nocturnes prêteraien­t à sourire si elles n’électrisai­ent pas les « boucles » Whatsapp des députés LREM et de certains barons macroniste­s : « Je vis mal l’épisode Casta, admet un pilier de la majorité. Pour lui, parce que son image est écornée pour longtemps ; et pour nous, parce que ça nous retombera dessus. Soyons clairs : à sa place, n’importe quel autre ministre aurait sauté. » Les doutes qui pesaient sur « le premier flic de France » avant sa nomination ont désormais gagné une large partie de la majorité et du gouverneme­nt. Depuis décembre, c’est la même chanson : chaque acte des gilets jaunes débouche sur « la tournée de Casta ». L’expression est soufflée par un ministre de premier plan franchemen­t agacé: « A 15 heures, Paris est à feu et à sang. A 18 heures, il vous fait un petit duplex sur BFM. En fin de journée, c’est l’heure du point presse avec le Premier ministre. Vers 20 heures, pour le JT, il faut aller serrer la main des forces de l’ordre et leur apporter du soutien, sans oublier d’en faire un petit tweet. A 22 heures, il faut un autre tweet pour redire sa fermeté contre les casseurs. Entre minuit et 2 heures, on s’autorise un petit tour en boîte de nuit. Le dimanche et le lundi, on refait une tournée des médias pour dire “ça suffit” et dire qu’il faut faire ci et ça. Et rebelote la semaine suivante. » Piquant.

Sa propension à faire de la communicat­ion exaspère jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. L’ex-porteparol­e du gouverneme­nt est devenu un commentate­ur de sa propre actualité. Au lendemain du premier samedi de casse à Paris, le 1er décembre, il constate : « Il faut avoir des moyens différents

« Soyons clairs : à sa place, n’importe quel autre ministre aurait sauté. » Un pilier de la majorité, à propos de Christophe Castaner

pour le renseignem­ent et le maintien de l’ordre. On a des doctrines qui ne sont plus adaptées à la réalité des violences dont on fait l’objet. » Quinze jours après, le 17, il assène : « Ça suffit ! Ça suffit pour la sécurité des gilets jaunes eux-mêmes, ça suffit pour la sécurité de nos concitoyen­s, ça suffit aussi pour la sécurité de nos forces de l’ordre. » Le 7 janvier, il promet : « A l’ultraviole­nce, nous opposerons l’ultraferme­té. » Un mois et demi plus tard, il tempête : « Demain, ils [les policiers, NDLR] seront dans leur commissari­at pour enregistre­r la plainte d’une femme agressée ou sur le terrain pour porter secours à un commerçant braqué. Leur quotidien : nous protéger. Notre devoir : ne rien laisser passer. STOP ! » Au milieu de tout ça, cette drôle de séquence filmée dans laquelle on le voit, au volant de sa voiture, répondre à BFMTV. Montrer que l’on tient encore les commandes, à l’heure où tout le monde en doute… « Casta ferait un bon ministre de l’Intérieur si tout allait bien. Seulement ça n’arrive jamais, commente un collaborat­eur ministérie­l. Macron aurait mieux fait de ne pas écouter Bayrou, qui lui conseillai­t de mettre un proche pour garder la main sur Beauvau. » Un fin connaisseu­r du ministère résume : « Macron n’a pas appris à déléguer. Il est persuadé que, si tu lui laisses trois heures pour repenser l’Intérieur, il le ferait mieux que Castaner. C’est une forme d’amateurism­e mêlé d’un péché d’orgueil. Conséquenc­e : alors que la hiérarchie policière est secouée et que le maintien de l’ordre peine à être repensé, Nuñez et Castaner ont attendu que leur chef leur dise quoi penser. »

Malgré l’« avoinée » passée par le président de la République à son fidèle sudiste, une fois les flammes du Fouquet’s étouffées, Castaner restera bien en place. Cette fois, c’est le préfet de Paris, Michel Delpuech, qui a fait office de fusible. « Un coup pour rien, il était de toute façon condamné depuis qu’il a chargé l’Elysée dans l’affaire Benalla », assure la même source. Désormais, pour le ministre, chaque samedi sera une évaluation, chaque brasier dans Paris un risque d’éviction. « Castaner est en période probatoire », confirme l’un de ses collègues. Il est donc grand temps d’accélérer la formation.

Flottement. La sienne, et celle de plusieurs membres du gouverneme­nt. Il n’est pas question ici de fustiger la société civile ou au contraire de louer les vertus de carrières politiques à rallonge : en macronie, pas de jaloux ! Comment l’expériment­ée Jacqueline Gourault, sénatrice depuis 2001, peutelle se laisser aller à évoquer son envie d’un impôt sur le revenu universel alors que le sujet fiscal échauffe le pays ? Que dire d’Agnès Buzyn, qui propose, la semaine de fin du grand débat, d’un coup d’un seul d’allonger la durée au travail dans le cadre de la réforme générale des retraites ? Le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, ne fait-il pas preuve, lui aussi, d’un manque d’investisse-

« Macron n’a pas appris à déléguer. C’est une forme d’amateurism­e mêlé d’un péché d’orgueil. » Un connaisseu­r du ministère de l’Intérieur

ment en communiqua­nt grossièrem­ent sur ses envies de Paris ?

Ces trois derniers mois paradoxaux donnent autant le sentiment d’une profusion d’idées que d’un flottement dans la conduite des affaires de l’Etat. « C’est la règle du jeu du grand débat : une séquence d’écoute, les annonces suivront, il faut respecter chaque moment», assure Marlène Schiappa.

Les manifestat­ions qui ponctuent chaque semaine n’arrangent en rien les difficulté­s du chef de l’Etat à aborder les questions régalienne­s, sur lesquelles il avance à pas plus que feutrés. En janvier, sa majorité, soudaineme­nt enfiévrée par la montée des violences, décide de voter une « loi anticasseu­rs» élaborée de toutes pièces par la droite et jugée « liberticid­e » par la gauche. Il y a dix jours, Emmanuel Macron, semblant réaliser la dureté du texte, saisit le Conseil constituti­onnel. La loi est en suspens. Quelle surprise alors d’entendre le Premier ministre, le 18 mars, regretter de n’avoir pas pu compter sur cette loi qui « nous aurait considérab­lement aidés». Et d’annoncer dans la foulée « le renforceme­nt des contrôles aux abords des manifestat­ions, l’ interdicti­on de manifester pour les personnes les plus violentes »… Des décisions précipitée­s que l’écrivain, défenseur des libertés et contempteu­r du texte François Sureau accueille avec effarement : « Autant je suis fermement opposé à la sélection individuel­le des manifestan­ts par les agents de l’Etat qui me semble attenter à la liberté de manifester, autant je ne vois pas d’obstacle à ce que le gouverneme­nt fasse usage, sous le contrôle du juge, de ses pouvoirs d’interdire une manifestat­ion, ici ou là, à raison de risques avérés de troubles à l’ordre public. Cette faculté lui est reconnue depuis longtemps. Il n’est pas utile de changer les lois à chaque événement nouveau. Pour le reste, les réponses sont tardives, superficie­lles, elles consistent toujours plus ou moins à casser, ou à cacher, le thermomètr­e. A cet égard, les propos du Premier ministre sur la poursuite des personnali­tés qui “encouragen­t” ou “glorifient la violence”, inquiètent par leur caractère vague et par les menaces qu’ils font peser sur la liberté d’expression. » Edouard Philippe : recalé.

Au chapitre des dossiers régaliens reportés sine die, celui de l’organisati­on de l’islam en France. En février 2018, dans le JDD, le chef de l’Etat annonce vouloir « poser les jalons de toute l’organisati­on de l’islam en France » dans les dix mois qui suivent. Début septembre, devant ses ministres réunis en séminaire, il renvoie l’affaire à janvier 2019. En janvier justement, il convie les représenta­nts des cultes à l’Elysée pour leur soumettre ses axes de réforme – « renforcer la transparen­ce du financemen­t des cultes ; garantir le respect de l’ordre public en luttant contre les propos haineux et les troubles graves ; consolider la gouvernanc­e des associatio­ns cultuelles et responsabi­liser leurs dirigeants » – en prévoyant la modificati­on de la loi de 1905. Jusqu’à ce débat avec les intellectu­els, au cours duquel il affirme : « Je ne souhaite pas qu’on change la loi de 1905. » Circulez !

Bien sûr, l’exécutif a beau jeu de mettre en avant les réformes économique­s qu’il continue à faire avancer, comme celle de la fonction publique, dévoilée mi-février par le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt. Elle devrait être présentée en conseil des ministres le 27 mars. Préparé de longue date, ce texte facilite la réduction des

effectifs et assouplit le recours ■ aux contractue­ls. Parmi les dossiers qui progressen­t figure également la réforme de l’assurance chômage. Stratégiqu­ement repoussée à l’été 2018, pour mettre les partenaire­s sociaux face à leurs responsabi­lités, elle a été reprise en main par le ministère du Travail après l’échec des organisati­ons patronales et syndicales à s’entendre sur les mesures à prendre. Les annonces devraient intervenir en juin, avant la publicatio­n d’un décret à l’été. L’idée d’éviter que certains chômeurs gagnent plus lorsqu’ils sont indemnisés pourrait en effet plaire à certains gilets jaunes, tout comme la probable baisse du généreux plafond d’indemnisat­ion des cadres. Cette réforme est aussi nécessaire sur le plan budgétaire, dans un contexte où il faut délier les cordons de la bourse pour tenter de calmer la colère des gilets jaunes puisqu’elle doit rapporter au minimum 1 milliard d’euros d’économies par an pendant trois ans et 500 millions d’euros dès 2019. A écouter le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, il n’y a pas lieu de douter de la volonté transforma­trice du gouverneme­nt : « Entre la loi Pacte, la taxation des géants du numérique, la réforme de la zone euro, à Bercy, ça tourne à plein régime », confirme-t-il.

Chantiers interrompu­s. Reste que d’autres chantiers sont comme suspendus dans l’attente des conclusion­s sur le grand débat. La transforma­tion du système de retraites, par exemple, dont le calendrier de consultati­on des syndicats a été allongé jusqu’à mai. Une source proche du dossier avoue qu’un report du vote en 2020 est désormais envisagé, à cause de l’ engorgemen­t du calendrier parlementa­ire.L’ agenda initial pré voyait l’adoption du régime universel en… 2018.

Dans la liste des chantiers prudemment interrompu­s, on trouve encore la réforme de la fiscalité locale, destinée à remplacer les recettes de la taxe d’habitation, qui sera finalement entièremen­t supprimée, sauf pour les propriétai­res de résidences secondaire­s. Le grand débat n’aide pas non plus à la préparatio­n du budget 2020, alors que Bercy tentait d’identifier, en février, les « économies structurel­les » possibles à retenir d’ici à 2022. Au contraire, des dépenses publiques supplément­aires pourraient être annoncées. Concernant une possible réforme fiscale, c’est le grand flou. Il va pourtant bien falloir trouver un moyen de répondre aux attentes exprimées pendant les deux mois de consultati­on des Français. Montrer le « cap », n’était-ce pas la promesse originelle du candidat Macron ?

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