A la Pointe de la douane, impalpables présences
Les artistes sont capables de mettre en forme des récits qui complètent puissamment les mots. Ils racontent ainsi la présence persistante d’une personne pourtant disparue, l’ambiance d’une ville, la nostalgie d’un lieu… C’est dans cette direction que se déploie l’exposition « Luogo e segni », à la Pointe de la douane, dont le commissariat est assuré par Martin Bethenod, directeur de Palazzo Grassi-Punta della Dogana, et Mouna Mekouar, commissaire indépendante. Principalement composée à partir des oeuvres de la collection de François Pinault, elle propose une balade dans un monde suspendu entre la vie et la mort. Au commencement de cet univers onirique il y a l’Américaine Roni Horn (née en 1955). Tout son travail, de la sculpture à la photo, consiste en une grande interrogation sur l’identité et ses multiples facettes. Ainsi, pour elle, l’eau est-elle la mémoire de l’identité. Il y a l’eau des mers, qui incite les hommes à voyager, l’eau que contient notre corps et l’eau-matrice fondamentale. Elle a imaginé une pièce monumentale composée de 10 plots de verre de 800 kilos, chacun d’une infinité de nuances du bleu au gris, qui varient avec la lumière. Ces « puits d’eau pétrifiée », installés dans la plus grande salle du musée, dialoguent avec l’eau en mouvement de la lagune. Roni Horn était une amie de Felix Gonzalez-Torres (né en 1957), artiste d’origine cubaine dont le gigantesque rideau de perles rouges et blanches translucides à l’entrée de la Pointe de la douane symbolise le sang et la maladie : le sida, dont il meurt en 1996. Une oeuvre que le visiteur doit traverser pour entrer dans l’exposition. Plus loin, le Français Philippe Parreno (né en 1964) livre dans un film, qui reconstitue l’intérieur de l’appartement de Marilyn Monroe, les pensées intimes de la star. Parreno partage avec la poétesse et peintre libano-américaine qui vit à Paris Etel Adnan (née en 1925) cette fascination pour les présences fantomatiques. Lorsqu’à la fin du film l’écran s’éteint et que les lumières se rallument, on aperçoit dans la salle, sur un mur, les petites toiles colorées peintes par Etel qui ressemblent à des paysages. Puis la salle est replongée dans le noir et résonne à nouveau de la voix de Marilyn… Anri Sala (né en 1974) est lui aussi sensible à la musique des voix. Le Français d’origine albanaise a reconstitué le parcours périlleux de Liria Bégéja, une musicienne qui traverse la cité alors assiégée de Sarajevo pour rejoindre l’orchestre symphonique de la ville avec lequel elle se produit. Son souffle haletant, alors qu’elle court pour éviter les tirs, les chansonnettes qu’elle a dans la tête et la « Symphonie pathétique », de Tchaïkovski, qu’elle doit jouer plus tard, l’accompagnent dans ce périple dangereux au pays des snipers, dans une ville en guerre, devenue soudain, pour le spectateur, si proche…
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« Luogo e Segni ». Punta della Dogana. Jusqu’au 15 décembre.